Retour à l'accueil du site






Antoine PHILIAS

Plexiglas


Cholet, Maine-et-Loire, 55 000 âmes, ou à peu près. Une de ces villes moyennes comme il en existe tant en France : boutiques fermées en centre-ville, déploiement de ZAC, ces zones commerciales qui s’articulent autour d’un hypermarché entouré d’enseignes de bricolage et autres, toujours les mêmes, du nord au sud et de l’est à l’ouest du territoire national. Cholet, 31 décembre 2019 : c’est là qu’Elliot arrive, ou plutôt revient. Il est d’ici, sa sœur jumelle y vit, son grand-père y est en EHPAD et sa maison est disponible. Elliot s’y installe, dans sa chambre d’enfant – les parents ont déserté durant l’enfance des jumeaux. Elliot et ses 30 ans, son désœuvrement, ses désillusions, sa jambe plâtrée. Elliot et sa vie qui boite.
 
Antoine Philias bâtit un roman qui pourrait faire penser à la fois à Nicolas Mathieu et à Fabrice Caro. Un roman d’un réalisme sociologique abouti, et d’une ironie tendre tout aussi aboutie, pleine d’empathie pour les personnages. Et des personnages, il y en a, qui sonnent tous plus vrai les uns que les autres. Lulu, tout d’abord, la caissière de Carrefour, au seuil de la retraite, qui décide de s’intéresser à son propre sort et à celui des autres employés, se documente sur les revendications sociales, occupe les ronds-points. Ces deux-là, Elliot et Lulu, vont former le duo de base de toute une petite foule romanesque, une petite foule de petites gens – la sœur coiffeuse à domicile, le beau-frère employé chez Leroy-Merlin, le vigile payé-debout… pour ne citer que les personnages principaux.
 
Le roman s’articule sur une année entière, selon les fêtes et les saisons, transpercé par l’épisode du COVID et du confinement. Ces travailleurs de deuxième ligne ne sont pas confinés, ils officient tout d’abord sans masque, sans gel, puis, enfin, derrière des plaques de plexiglas. Ils sont ceux que l’on n’applaudit pas à 20 heures, et qui ont marné toute la journée pour des salaires plus que modiques. Si la sœur et le beau-frère d’Elliot ont pu profiter du confinement pour cuisiner et prendre quelques kilos, Lulu est restée rivée à sa caisse, inquiète pour son fils enfermé dans un studio à Paris, et le vigile du Carrefour a peaufiné ses remarques envers la clientèle sur le port maladroit du masque et le passage obligé par la borne de gel hydro alcoolique. C’est à ses côtés qu’Elliot, en fin de RSA, dégote un emploi.
 
Plexiglas est un roman politique qui met les obscurs dans la lumière. Ils le méritent. Ceux que parfois l’on appelle « les vraies gens de la vraie vie », expression idiote, tous les gens sont vrais, et toutes les vies. Mais ces trajectoires-là, qui s’effectuent loin de Paris ou des grands centres régionaux, sont, finalement, majoritaires. Cholet, ville moyenne dirigée par un édile maintes fois condamné, devient l’exemple-même de la ville de province non pas abandonnée, mais oubliée. Pourtant, on y vit, on y aime, on s’y débat, on y rit, on y forge de belles amitiés.
 
Singulièrement, la couverture de Plexiglas, avec son Caddie esseulé sur un parking de supermarché, évoque celle des Disparus de Mapleton de Tom Perrota – roman qui a servi de base à la série The Leftovers. Dans le roman de Perota, une partie de l’humanité disparaît, laissant le monde dans la sidération. Dans le roman d’Antoine Philias, une partie du territoire national – les petites villes, la diagonale du vide – et de la population – les travailleurs de deuxième ligne – indispensables et invisibilisés, sont mis sur le devant de la scène. Ces héros du quotidien, attachants, sympathiques jusque dans leurs contradictions, forment un chœur harmonieux.

Christine Bini 
(24/08/22)    
Lire d'autres articles de Christine Bini sur http://christinebini.blogspot.fr/



Retour
Sommaire
Lectures







 Antoine PHILIAS, Plexiglas
Asphalte

(Août 2023)
240 pages - 21 €









Antoine Philias
est né à Cholet. Plexiglas est son deuxième roman.