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Guillaume NAIL

On ne se baigne pas dans la Loire


Sur le miroir, la buée s’est formée, il efface le voile. Et sa gueule à nouveau, visage fixe et la tristesse, sordide. C’est le premier mot qui lui vient. Glauque et pathétique. Même la branlette ne fait plus barrage. La colère ravive, intacte. Tellement pas envie de rentrer chez ses cons de parents, là-bas. Dégoût de retrouver le visage sans vie de sa mère, l’indolence de son père. La colo l’a autorisé à faire semblant un temps mais maintenant que ça finit, voilà que tout boomerangue.

C’est le 31 août, le dernier jour de la colo. Il fait chaud. Les ados dans le car sont surexcités. Gus, le meneur, le colon le plus populaire, leur roi incontesté, à suivre en terre promise, décide qu’on débarque là. Le directeur-mono de la colo, Benoît, par paresse, lâcheté, renonce à l’emplacement prévu. Les garçons envahissent la prairie au bord de la Loire en exultant. Ils vont pique-niquer, jouer au ballon, se baigner malgré toutes les recommandations que l’on fait dans le coin sur les dangers du fleuve, et pour certains, trouver la mort.
On ne dévoile rien en le disant d’emblée. Guillaume Nail a décidé d’écrire ce roman en découvrant le drame de Juigné-sur-Loire, qui en 1969, coûta la vie à dix-neuf enfants. Ce qui va nous captiver dans ce roman ensoleillé comme une tragédie grecque, ce sont les figures des quelques ados que l’on va découvrir en prise aux sables mouvants des adultes qui sont censés les protéger. Ce fait divers révèle, par métaphore, l’inconsistance de certains adultes, quand ce n’est pas leur perversité, qui seraient les véritables responsables du naufrage des ados qu’ils sont censés élever ou éduquer.
Le récit de Guillaume Nail a tout d’abord l’apparence tranquille de la Loire, un moment d’été heureux, mais bien vite, le débit, la rapidité de la langue, sa violence, les courants cachés et contradictoires du fleuve comme ceux de l’âme des ados, entraînent personnages et lecteur dans des remous plus sombres où l’on découvre les personnalités complexes et malheureuses des ados comme celles des adultes qui leur sont proches.
L’histoire divisée en quatre parties va petit à petit nous révéler ce que chacun cache derrière les apparences. Dans Le courant, les protagonistes sont présentés à tour de rôle : Benoît le directeur de la colo, dont on sait d’emblée que c’est un pervers fétichiste ; Pauline, la monitrice paumée, presqu’aussi jeune que les colons, amoureuse de l’un d’eux ; Gus, l’ado aux apparences solaires ; Totof, l’intello distant qui ne sait plus jouer ; Pierre, le petit gros complexé qui a peur de son ombre.
Dans Le fleuve, le récit monte en intensité, le lecteur pressent le drame, il a peur pour Totof et son incursion dans le parc d’un étrange domaine, il a peur pour Pierre et sa soumission à tout, pour Pauline et sa soumission à Gus, pour Benoît et son lourd secret alors que la tranquillité du fleuve, ses bancs de sable à l’apparence solide, l’énergie vitale des colons, leur désir de braver les interdits mais en s’amusant encore comme des enfants, endorment notre vigilance, à nous aussi.
Puis on remonte le temps dans L’amont, la soirée de la veille du drame, au départ, une course d’orientation, la nuit,  dans  un parc oriental, sorte de labyrinthe où le lecteur va entrer dans les méandres des âmes torturées de Gus le frimeur, de Totof le lucide jusqu’à la morbidité, et de Pierre enfant traumatisé par son passé, et constater à quel point les adultes sont non seulement indigents mais cruels, à commencer par Benoît qui laisse Gus déformer le but initial de la sortie en organisant  une « chasse à l’homme ».
Enfin, dans L’estuaire, une voix, en italique, enquête sur ce qui s’est passé et ceux qui restent expriment ce qu’ils ressentent.
Et la Loire suit son lit. Dormante et rêveuse, charriant les poissons et les corps.

Sylvie Lansade 
(18/01/23)    



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Lectures








Denoël

(Janvier 2023)
160 pages - 16 €







Guillaume Nail
a beaucoup écrit
pour la jeunesse.



Bande de zazous !



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