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Juliette MORAUD


La grâce du moment


Achille a 17 ans. Il a une bande de copains sympa au lycée, mais sa vie a chaviré quand sa mère est morte, il y a six mois. Il est tout le temps angoissé, la même angoisse qu’il connaissait quand ses parents sortaient quand il était petit. Son père ne surmonte pas du tout cette mort brutale. Il noie son chagrin dans des achats compulsifs ou des nettoyages irrationnels et tous les deux n’arrivent plus à communiquer. « Ils s’étouffent, les non-dits les étouffent. Ils ont appris à survivre comme ça : saturés de vide. » Alors ils communiquent par post-it collés un peu partout dans la maison.

La tristesse que ressent Achille lui serre fort le corps. Quand il est avec ses copains, les nœuds dans son estomac se déroulent. Mais parfois l’étau se resserre, la sueur perle le long de son dos. Dans ces cas-là, il a son rituel pour se calmer : il compte ses doigts pour respirer.
La grande force de ce roman c’est la description minutieuse des émotions qui sont vécues par Achille et portées dans son corps, émotions incarnées, somatisation diraient les psy. C’est le fil rouge de ce roman.
Sa meilleure amie Méli est toujours à l’aise, « tout le temps et partout ». Nicolas, son frère aîné, est de la même trempe. Nicolas regarde Achille droit dans les yeux, ce qu’Achille n’ose pas faire. Ce garçon solaire subjugue Achille, l’irradie de chaleur et de détente. A l’occasion d’une fête où ils ont bu beaucoup, ils s’embrassent presque sans le vouloir. Nicolas devient comme une obsession pour Achille, il se sent si bien dans ses bras, il oublie sa tristesse et sa maladresse. Il se sent léger, euphorique, comme tous les amoureux… Mais Nicolas aime aussi Lou et Achille en est malheureux, jaloux, il se sent abandonné. C’est quand il va oser en parler à ses amis, lorsqu’il dominera sa honte, qu’il constatera que cela ne fait pas problème et que ses amis l’aiment toujours, c’est alors qu’il sera délivré d’un poids immense. C’est alors qu’il pourra assumer ses choix.

Dans ce roman la musique joue un grand rôle et, pour le plaisir des lecteurs, les paroles en anglais sont traduites en français, comme un jeu entre Achille et son copain Hugo. Ces paroles ne sont jamais anodines. Elles expriment souvent ce que les personnages n’osent pas formuler.

Juliette Moraud aborde avec délicatesse, érotisme mais jamais pornographie, cette histoire d’amour qui vient combler le vide de la perte immense de la mère. Elle vient aussi compenser la souffrance de voir son père sombrer dans un genre de folie. Les scènes où père et fils n’arrivent pas à communiquer alternent avec les scènes de fêtes, de musique trop forte, de bière qui coule à flots.
Quand Achille va trop mal il sillonne sa ville, Bordeaux, à vélo. Le souvenir de sa mère y est partout ; les quais, les places, les rues où ils couraient ensemble. Quand il danse avec ses amis, c’est l’image de sa mère qui aimait tant danser qui lui revient.

Un roman à la fois audacieux et plein de tendresse et de compréhension pour les grands adolescents mal dans leur peau.

Nadine Dutier 
(10/07/23)    



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Jeunesse






Juliette MORAUD, La grâce du moment
Actes Sud Jeunesse

(Juin 2023)
272 pages - 16,50 €

Version numérique
11,99 €

À partir de 14 ans