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Isabelle MAYAULT


La Chouette d’or


Tout commence à Genève par une vision, une hallucination. Si Claudia, journaliste, avait déjà à son actif quelques rêves prémonitoires c’était bien la première fois qu’en plein jour dans son appartement une telle chose lui arrivait. Découvrir dans son fauteuil ce jeune Péruvien qui affirmait il y avait vingt ans avoir trouvé « La Chouette d’or » que des milliers de chasseurs de trésors pistaient depuis des années et qu’elle avait interviewé à la frontière espagnole pour ne jamais le revoir ensuite, ne justifiait aucunement cette apparition. Le voir s’effacer d’un coup sans avoir eu le temps de rien y comprendre en était d’autant plus perturbant. « Comment pouvait-elle raconter ce qu’elle avait vu sans avoir l’air d’une dingue, d’une zinzin, d’une pinpin, d’une à qui il manquerait des cases et dont il ne faisait pas de doute que née un peu plus tôt, elle aurait tâté du bûcher ? » C’est un appel de Trevor Barley (son ancien rédacteur en chef) lui apprenant la mort du fameux Péruvien à Barcelone qui la sort de sa stupeur. La voilà rassurée, « Elle venait de voir quelqu’un qui avait trépassé la veille. Dans sa grande hiérarchie du monde tel qu’il va, c’était moins grave que de voir apparaître une personne dont le cœur était irrigué ». Trevor, reprenant sa formule habituelle, « ce serait très intéressant si tu te penchais sur la question », suggère à Claudia d’aller sur place pour vérifier s’il s’agit ou non d’un meurtre et si cette mort n’aurait pas un lien avec le célèbre jeu de piste. Cela pourrait apporter un éclairage original sur cette affaire voire être le scoop qui pourrait relancer sa carrière un peu vacillante au seuil de la cinquantaine. Sans confier à Trevor que ce n’est pas tant dans un but professionnel mais un peu par curiosité envers ce Beto Watanabeautrefois brièvement interrogé sur un banc publicpour cette affaire et venu inopinément ce jour s’inviter chez elle comme fantôme, et beaucoup pour le plaisir de revenir à Barcelone dont elle a gardé des souvenirs estudiantins émus et où elle a vécu ses premières amours, notamment Omar avec lequel elle est restée en contact, Claudia prépare sa valise et réserve son trajet Genève-Barcelone.

Une fois sur place, en l’agréable compagnie d’Omar de plus en plus versé dans l’ufologie (interprétation des données se rapportant aux phénomènes des objets volants non identifiés), Claudia replonge avec émotion dans sa jeunesse tout en interrogeant discrètement l’épicier, le tenancier du bar et Miguel de la librairie ésotérique du quartier où vivait Beto. Ce dernier qui semble avoir été proche du Péruvien, sympathisant rapidement avec la journaliste puis avec Omar, se joindra vite à leurs recherches. Lors de son enquête Claudia croisera également Titi, ami d’enfance du Péruvien et célébrité locale comme footballeur, lui-même autrefois indirectement impliqué dans la chasse à la Chouette d’or. Si quand les langues se délient certains évoquent l’apparition récente dans la vie de Beto d’une femme dont il serait tombé amoureux et avec laquelle il aurait même envisagé de refaire sa vie dans son pays d’origine, il ne s’agit là que d’impressions diffuses qu’aucun visage entraperçu et aucun nom ne vient étayer.

Peut-être serez-vous surpris d’apprendre que cette curieuse « chasse à la Chouette d’or » imaginée par Max Valentin dans la France des années quatre-vingt-dix qui a atteint toute l’Europe à la fin du XXe siècle avec deux cents mille chasseurs officiellement inscrits auprès des organisateurs a vraiment existé. Un coffret contenant une copie en bronze de la « Chouette effraie » créée par le sculpteur Michel Becker et réalisée en argent massif avec trois kilos d’or sur les ailes et des incrustations de pierres précieuses d’une valeur estimée à 150 000 euros aurait été enterrée par Max Valentin une nuit d’Avril 1993, tandis que simultanément paraissait un recueil de onze énigmes, chacune étant constituée d'un titre, d'un texte et de reproductions de tableaux originaux de l’artiste suivant un cahier des charges minutieux établi par Marx Valentin, celui-ci ayant été régulièrement réédité jusqu’à récemment. Seule la résolution de ces énigmes permettrait aux « chouetteurs » de réduire progressivement le champ de leurs investigations jusqu’à trouver la ville moyenne de France métropolitaine choisie par Max Valentin comme but ultime à cette chasse. Une douzième et ultime énigme habilement cachée au sein des précédentes leur permettrait alors d’y localiser enfin plus précisément l’endroit où le coffret contenant la copie numérotée avait été enterré. Une fois l’objet authentifié par l’huissier chargé de cette mission depuis le décès de Max Valentin en 2009, la chasse serait déclarée close et l’heureux gagnant se verrait remettre la récompense prévue. La Chouette d’or n’aurait toujours pas réapparu à ce jour.
Mais si cette chasse au trésor donne son titre et constitue le fil d’Ariane du roman, elle n’en est pas vraiment le sujet. C’est Claudia et son enquête qui habite et porte ce récit et elle-même n’a été qu’indirectement concernée par deux fois et pour des raisons strictement professionnelles à ce jeu qu’elle définit comme « ésotérique et grave, joyeux et dévorant ». Il y a une vingtaine d’années quand elle était venue à La Sioule faire une interview de Beto Watanabe que la rumeur locale accusait d'avoir découvert et dissimulé le fameux trésor devenu ainsi introuvable depuis et, au présent, quand Trevor après l’annonce du décès à Barcelone du même Péruvien l’avait à nouveau missionnée sur place dans l’espoir d’un scoop.

Au fil du roman un certain parallélisme se dessine cependant entre la quête de la Chouette d’or par les chasseurs de trésors et celle, intime, de la journaliste partie sur les traces de son passé pour tourner sans regrets mais avec émotion la page de sa jeunesse enfuie, pour apprendre à accepter le temps qui passe sans rien effacer mais, laissant la jeunesse à son adolescente de fille qui s’apprête à son tour à la croquer à pleines dents, en ouvrant les chapitres de l’âge adulte et de la maturité qui ne sont pas obligatoirement synonymes de renoncement et de regret mais offrent aussi leur lot de découvertes, de désirs, de plaisirs et de joies à qui sait les voir, et ainsi, peut-être, s’aimer comme elle est vingt ans plus tard, à la fois semblable et différente, vivante, profitant du présent et tournée vers l’avenir.Claudia habite ce récit avec une telle fantaisie, une telle fougue que le roman n’a rien du journal dépressif d’une presque cinquantenaire fatiguée, désabusée et mal dans sa peau. Ce sont les questionnements et les doutes d’une femme pleine d’appétit et de ressources à un moment de sa vie où une pause lui est nécessaire pour se retrouver et refaire le plein d’énergie pour reprendre sa vie à pleines mains qu’Isabelle Mayault nous livre ici et tout laisse à croire que cette parenthèse barcelonaise lui aura été bénéfique.

La vivacité de ce roman nourri de légèreté, de fantaisie, d’auto-dérision, d’humour et d’émotion c’est la sienne. « Quand est-ce que tu as su que tu étais devenu vieux ? Oh, c’est facile, il y a une odeur qui ne part pas après la douche. Tu verras. » Claudia est un beau personnage de femme pleine d’audace, malicieuse et toujours en mouvement. « Elle se sentait aussi fatiguée que si elle avait suivi un lapin blanc dans un tunnel, parlé avec un chat philosophe et joué aux échecs avec une reine menaçant de lui couper la tête. Mais personne ne menaçait de lui couper la tête. Pas directement en tout cas, bien que l’activité connût un notable regain. On pouvait même parler d’un phénomène de mode. Pas directement, bien que, en tant que femme, juive et journaliste de surcroît, elle ne se faisait pas d’illusions. » Ce roman est aussi marqué par la grande curiosité professionnelle et personnelle qu’elle a du monde et des autres. Cela permet à l’autrice de nombreuses digressions sur des sujets divers comme l’ésotérisme à travers le libraire, l’aménagement du territoire (« La Sioule avait connu depuis vingt ans un déclassement subtil. C’était une sous-préfecture où on ne pouvait plus faire refaire sa carte grise. Une ville moyenne qui avait perdu un tiers de ses habitants après la fermeture de l’imprimerie, le dernier gros pourvoyeur d’emplois de la commune. Dans les rues piétonnes autrefois jalonnées de commerces, on n’entendait plus que les volets des boutiques – À vendre – claquer comme dans un western. Ceux qui habitaient encore là étaient pour la plupart retraités. »), le couple, l’adolescence et la parentalité, le sexisme, le monde du sport (par le biais de Titi mais aussi Souad, la meilleure amie de Claudia)... Sans illusions, la journaliste aborde aussi à plusieurs reprises son métier : « Elle ne lui avait pas envoyé son texte, ignorait s’il l’avait lu. Ses manières comme celles de la plupart de ses confrères laissaient à désirer. Une fois qu’ils avaient eu ce qu’ils voulaient, ils partaient en courant. C’était le jeu. (…) Son article était ce qu’il était. S’il évitait le sensationnalisme (…) il n’avait rien changé pour lui. Il ne l’avait pas enfoncé. Il ne l’avait pas aidé non plus. »

Il y a dans La Chouette d’or un aspect loufoque, de l’énergie, de la dérision, de la légèreté, du mystère et, pour finir, une chute surprenante sous forme de pied-de-nez. Isabelle Mayault, à travers les déambulations poétiques et souvent nocturnes de cette héroïne attachante, sensible, drôle et audacieuse dans un Barcelone vivant et vibrant, nous entraîne dans une étrange enquête sur un trésor caché qui pourrait n’être pas cette Chouette d’or assez anecdotique que certains pourchassent mais la vérité et l’instinct de vie profondément enfoui en chacun de nous. Un livre sur le vieillissement et l’accomplissement qui se referme le sourire aux lèvres.

Dominique Baillon-Lalande 
(04/08/23)    



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Lectures







Isabelle MAYAULT,  La Chouette d’or
Gallimard

(Mars 2023)
320 pages - 21 €













Photo F. Montovani © Gallimard
Isabelle Mayault
est reporter.
La chouette d’or est
son deuxième roman.