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Ce roman revient sur le sort des enfants réunionnais arrachés à leur île et à leur famille (plus de 2 000 entre 1962 et 1984) pour être exilés dans la Creuse, y travailler et la repeupler. (Pour info, https://fr.wikipedia.org/wiki/Enfants_de_la_Creuse )Mila fait partie de ceux-là et nous suivons quelques années de sa vie dans le petit village où elle a été placée dans un orphelinat dont la plupart des enfants n’étaient pas orphelins. La narration est construite sur une alternance entre le présent et le passé. Le présent du roman c’est une journée de septembre 1990. Mila a quitté le village depuis longtemps, une des deux directrices de l’orphelinat vient de mourir et une vieille dame est venue assister aux obsèques. C’est Ernestine, l’épicière de Saint-Avre, dans la Creuse. Au fil des chapitres, nous l’accompagnons dans cette journée où son mari, Hector est en train de mourir, où elle ne peut s’empêcher de se replonger dans son passé, son enfance, son mariage, l’arrivée de Mila, les années vives, le départ de Mila, puis, l’attente, l’absence, la solitude, le vide, … Ernestine est née juste avant la Première Guerre mondiale. Son père a vécu l’enfer des tranchées et « pour échapper à la folie qui le gagnait, avait exporté en elle son histoire » par des récits sombres et violents, emplis de colère et de rancune envers les généraux et les politiques récits qu’elle transmettra à Mila. Au début des années soixante, un double phénomène inquiète les autorités. D’une part, un dépeuplement de certaines zones rurales comme la Creuse et d’autre part une explosion démographique à La Réunion qui pouvait conduire à une déstabilisation sociale. La solution était simple : les vases communicants. « Très vite, il ne se trouva plus assez d'enfants orphelins, abandonnés ou délinquants. […] On s'en désola : la politique du chiffre exigeait qu'on respectât les quotas définis par une administration soucieuse du bien commun. Il n'était pas possible d'arrêter les contingents d'enfants, des établissements avaient été créés à cet effet, il fallait les remplir. Mila arrive à l’orphelinat de Saint-Avre en 1973. La discipline mise en place par Madame et Mademoiselle (deux sœurs dont l’une a été mariée et l’autre pas) est rigoureuse. Il faut éduquer des petits sauvages, leur apprendre le français (en interdisant le créole), le silence, le respect et le vouvoiement. C’est sévère et ceux qui doivent faire appliquer le règlement n’ont aucune formation et la main leste. Une relation étrange s’est établie entre l’épicière et la fillette, une relation qui constitue le cœur du roman, racontée avec beaucoup de tendresse et de justesse, avec les attentes non exprimées de cette femme sans enfant et la violence de Mila, moqueuse et imprévisible, révoltée par l’exil qu’on lui impose et les conditions de vie à l’orphelinat. Mila n’est pas un animal qu’on apprivoise, le renard du Petit Prince, c’est une fillette en quête d’identité, obstinée, déterminée, sans concession. Un titre de plus dans la liste des ouvrages qui évoquent les enfants de Creuse, il n’y en aura jamais assez, il y a tant à raconter et dénoncer pour nourrir la mémoire collective, entretenir le souvenir de cette stupide et monstrueuse initiative. Serge Cabrol (16/08/23) |
Sommaire Lectures Albin Michel (Février 2023) 320 pages - 20,90 €
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