Cet album sans texte fait tout comprendre à travers des dessins très expressifs. La mise en page tient un peu de la bande dessinée mais Qin Leng recourt souvent à la pleine page.

L’album s’ouvre sur une petite fille qui se réveille. On la sent pleine d’entrain. Elle rejoint son grand-père affairé à préparer les pancakes du petit déjeuner. Nous sommes bien sûr au Canada. On reconnaît même le sirop d’érable sur la table car chaque détail a son importance.
Les personnages ne sont pas hyperréalistes mais leurs traits et leurs attitudes trahissent bien ce qu’ils sont et ce qu’ils éprouvent.
Le vieux et la petite fille tiennent un commerce, le « Lowell, magasin général » qui regorge d’objets hétéroclites : balais, bouteilles, vaisselle, crayons, bonbons et dans des cartons dehors, des régimes de bananes, des fraises et des poissons qui attirent le chat. Le cadrage en contre plongée sur l’intérieur de la boutique met en valeur ce côté bazar bien rangé sur des meubles et étagères superposées.

Une pancarte indique en vitrine « appartement à louer ». On découvre avec le premier visiteur l’état de vétusté de cet appartement. Six autres visiteurs défilent et repartent découragés ou indignés. Quand le dernier couple se présente, que j’ai vu comme un homme blanc et une femme noire, tous les deux jeunes et élégants, le vieux retire la pancarte. Le jeune couple entre dans la boutique et montre la pancarte encore dans les mains du vieux. Gros plan sur les trois visages, le couple dans l’attente du verdict, le vieux un peu buté. La petite fille intervient, elle plaide visiblement la cause du couple. Gros plan sur le visage du vieux qui réfléchit tandis que le couple et la fillette réunis patientent. Le vieux se décide, il prend les clefs et le jeune homme tout sourire lui serre la main, à la grande satisfaction de la fillette.

Le jeune couple se lance dans les gros travaux de nettoyage aidé par la fillette. Il y a fort à faire. Une fois installés, ils repeignent la devanture du magasin, mettent des fleurs au balcon et sur le trottoir à côté des fruits. La fillette installe les croquettes du chat depuis son repaire jusqu’au deuxième étage où il trouve son bol. Puis elle le brosse. Il y a sans doute une métaphore que je ne sais pas interpréter dans ce qui se passe entre la fillette et le chat. S’agit-il de prendre soin des plus défavorisés, est-ce un cadeau pour le couple ?
Quand le vieux porte des cartons lourds, le couple vient aider, l’entraide génère de la joie. Même le voisin qui la battait froid au début devient cordial.

Sur l’enseigne du magasin on peut lire désormais « Lowell et Amis. Magasin général » et un drapeau arc en ciel flotte. À partir de ce drapeau, j’ai cherché davantage d’indices :  une ceinture arc en ciel et un visage doux et androgyne ont fini de me convaincre qu’il s’agit d’un couple de femmes et que c’était peut-être la raison du refus initial de louer. Le couple invite les amis et le voisin pour pendre la crémaillère. C’est pendant cette fête qu’on voit la tendresse qui unit le vieux enfin détendu à la fillette.

Pas besoin de texte pour raconter une histoire tout en nuances. Qin Leng assume son héritage : inspirée par Sempé et par Gabrielle Vincent (Ernest et Célestine), elle admire dans leurs dessins la souplesse et la douceur. On retrouve bien l’esprit Sempé dans les empilements de marchandises, les expressions de visage, les corps en mouvement.
Qin Leng dessine sur papier, encre au pinceau ou à la plume et colorie à l’aquarelle d’où la fraîcheur de ses dessins.
À déguster à tout âge.

Nadine Dutier 
(12/06/23)