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Dimitri KANTCHELOFF


Vie et mort de Vernon Sullivan


Cette biographie se limite aux années où Boris Vian a utilisé le pseudonyme de Vernon Sullivan. Période très marquée par les séquelles de la guerre, nous sommes en 1946, il y a encore des rationnements et surtout le souvenir de cette guerre est si proche que l’on fait tout pour oublier ; boire, sortir, faire la fête avec ses amis.
Dimitri Kantcheloff écrit comme Boris Vian a vécu, dans la fébrilité, la plaisanterie. On lui pardonne ses blagues un peu potaches, ses jeux de mots comme « humeur nauséeuse » de Sartre ou les références à des titres de romans ou de chansons de Vian.
« On a beau être pacifiste, on ferait tout de même bien sauter, juge-t-il, tous ces gendelettres sur une belle petite bombe atomique. »

La biographie démarre quand Boris Vian vient d’apprendre par Raymond Queneau qu’il ne recevra pas le prix littéraire de la Pléiade qu’il s’attendait à remporter. Son ressentiment est sans doute à l’origine des pamphlets et des provocations qu’il écrira dans les mois qui suivent.

Son ami Jean d’Halluin, directeur de la maison d’édition du Scorpion, est en difficulté financière car tous les livres qu’il a publiés ont été des échecs et il est criblé de dettes. Il lui faut un best-seller pour se refaire.
 « Du bruit. Du scandale. Du soufre et son odeur, quoi. […]
Que ça fasse hurler les réacs, enrager les bourgeois. Que ça fasse trembler les ménagères et suer les censeurs. Que plus un gratte-papier n’ait autre chose à penser. Que plus un soûlard dans les bistrots n’ait autre chose à commenter. »
Boris est enchanté par un tel programme, il relève le défi et parie qu’il peut le boucler en dix jours.  En quinze jours de vacances à Saint-Jean-de-Monts, il termine son manuscrit qu’il nomme J’irai danser sur vos tombes sous le pseudonyme de Vernon Sullivan.
« Il y a dans ces deux noms accolés l’un à l’autre, dirait-on, toute l’Amérique et ses ambiguïtés, sa poésie comme sa laideur, son héroïsme comme sa démence. Vernon Sullivan, ou la promesse d’une main qui vous claque, l’autre qui vous caresse. Comme un slogan, un leitmotiv. Mieux : une mélodie dont on ne se départ pas. »
À la relecture son épouse Michelle propose de corser un peu le titre et suggère J’irais cracher sur vos tombes.
Voilà, c’est fait en quinze jours.
Le roman fait scandale comme prévu mais se vend bien. Boris décide d’en écrire un autre prétendument du même auteur, Les morts ont tous la même peau. Cette fois il écrit depuis Megève où les Vian sont en vacances.
C’est alors qu’un crime passionnel va faire couler beaucoup d’encre car le criminel pose le roman qui l’a inspiré bien en évidence sur le secrétaire, c’est bien sûr J’irai cracher sur vos tombes.
Les articles de journaux qui commentent le crime accusent Boris Vian, en tant que traducteur d’en être responsable.

L’auteur de cette biographie montre l’urgence dans laquelle Boris vit et écrit car il se sait condamné. Son cœur est malade, les mises en garde de son médecin sont formelles. Mais comment vivre raisonnablement au lendemain de la guerre ? Cet appétit de vivre, de passer les soirées avec les amis, de boire, de jouer de la trompette, tout ce que son cardiologue lui interdit mais dont il refuse de se priver. Il fait paraître cinq romans dans la même année, adapte pour le théâtre J’irai cracher sur vos tombes, se lance dans le ballet, écrit cinq cents chansons, des chroniques, poèmes, scénarios, traductions. Sa créativité ressemble à de la rage.

Les garants de la morale attaquent Vian pour ses propos contraires aux bonnes mœurs jusqu’à lui intenter un procès.
Daniel Parker et son Cartel d’action morale a mené d’autres batailles face aux subversions de son temps :  Henry Miller, le Journal de Mickey, « sans oublier Tarzan, dont la perversion n’est plus à démontrer ». Parker peut s’attendre à une victoire facile. Boris Vian et son éditeur écopent en effet de 100 000 francs d’amende chacun.

Ceux qui connaissent Boris Vian auront plaisir à lire cette biographie, les autres, plus jeunes, auront envie d’en savoir plus sur cet écrivain et agitateur indémodable, à la fois antimilitariste et antiraciste.

Nadine Dutier 
(16/10/23)    



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Dimitri KANTCHELOFF, Vie et mort de Vernon Sullivan
Finitude

(Août 2023)
176 pages - 17,50 €







Dimitri Kantcheloff
est né en 1981. Vie et mort de Vernon Sullivan est
son premier livre.









Pour en savoir plus sur le roman de Boris Vian et son adaptation cinématographique, on peut consulter un article que nous leur avons consacré ici en 2006.