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Maria HUMMEL


Leçon de rouge


Ancienne journaliste, la jeune et jolie femme blonde Maggie Richter aime écrire sur l’art et travaille comme rédactrice-correctrice au Rocque Museum de Los Angeles. Janis Rocque, fondatrice et également donatrice de ce musée, la contacte car « il y a une histoire tragique impliquant le LAAC, et il faut que quelqu’un de discret la raconte. Prévenez-moi quand vous serez revenue ». En effet, Brenae Brasil, une étudiante du LAAC (Los Angeles Art College), vidéaste, s’est suicidée par arme à feu dans son atelier. « Pour Janis, la mort de Brenae était plus complexe qu’il ne semblait, et il fallait enquêter sur le fonctionnement de l’école. » Maggie se remet d’événements douloureux s’étant déroulés dans un passé proche, en fait ceux du livre précédent de Maria Hummel, Le musée des femmes assassinées. Afin de « harponner » Maggie et flatter son ego, Janis lui envoie une invitation dans un lieu chic de la haute société. Elle pourra y voir la projection d’œuvres de l’artiste disparue. « Immobile, illuminée et agrandie ainsi […] Brenae avait des airs d’idole. Elle irradiait. Elle devenait symbole. Il était difficile de percer à jour la personne réelle derrière l’image, une jeune femme de vingt-deux ans avec ses peurs et ses pensées intimes, seule dans son atelier […] Le film se termina sur Brenae au lit, tenant tendrement dans ses mains l’arme, près de sa joue. » Suicide ou meurtre ? L’enquête de police, très détaillée et soigneusement menée, concluait au suicide mais aussi à la disparition d’une vidéo sur l’ordinateur de Brenae.  Malgré quelques réticences, Maggie réexamine l’enquête, et se fond au sein d’un groupe d’élèves ayant fréquenté Brenae, jouant la taupe, à la recherche de nouveaux indices. Ils préparent une exposition, une cathédrale de chaussures, sous l’égide de Hal Giroux, directeur du LAAC. Janis Rocque désire, par ailleurs, surtout nuire à la réputation de Hal en demandant à Maggie de jouer un double jeu. Elle pense que Hal Giroux est impliqué dans l’histoire.

La narration repose sur les épaules de la frêle Maggie, sa candeur et ses talons hauts. Elle conte avec une avalanche de petites notations frôlant l’insignifiant. Elle détaille ses ressentis « À l’intérieur de la Mazda jaune de ma meilleure amie, ce n’était pas l’air qui me posait problème. C’était la place pour mes jambes. », commente ses actions « Pendant que je vidais seule et coup sur coup deux gins tonics, je fis le point de ma situation ». Ses impressions sur untel ou untel : « Il était possible qu’il soit nettement plus âgé que son corps alerte le donnait à penser ». Les descriptions d’un paysage « Un long ciel élagué se déploya » ou un intérieur « La pièce rapetissa. L’air sentait le propre, mais aussi le renfermé ». Les métaphores pleuvent et donnent à l’histoire les intonations du récit policier mais l’enquête reste en suspens. L’intrigue lambine, déconcertante, disparaissant quasiment derrière la peinture d’un monde superficiel d’amateurs d’art branchés et préoccupés de mondanités. Le style de Maria Hummel colle très adéquatement, à propos, en décrivant la vacuité de ce milieu privilégié et vaniteux grâce à cette narration parfois naïvement voulue de Maggie. On se laisse prendre à cette superficialité et on en viendrait à lâcher prise et poser le livre ! Mais, c’est finalement une petite musique qui fait écho et vous intime de reprendre la lecture, sans doute le talent de l’autrice, et de tourner les pages car Maria Hummel tisse une intrigue à tiroir bien noire.

Dans une interview en 2018, le lauréat du prix Goncourt, Nicolas Mathieu, à propos du roman policier, note que la vertu de ce type de roman, outre l’intrigue et d’être très lisible, est également un excellent moyen de véhiculer, en contrebande, des messages simples. Et Maria Hummel sait très bien faire en nous interpellant sur un aspect de notre monde moderne. Elle balise son entreprise par deux indices. L’épigraphe d’abord est sans équivoque en son début : « Il y a une jeune fille, enlevée, traquée, violée et trahie ». Il fait écho, ensuite, au prénom d’un des personnages, Layla qui en hébreu veut dire "nuit ". La narration de Maggie suggère que Layla a subi le même sort. Layla serait la mauvaise étymologie de Lilith dans une légende hébraïque. Lilith aurait été la première femme d’Adam, avant Ève conçue de la côte d’Adam. Elle a été, comme Adam, formée à partir de l’argile, et à ce titre, Lilith est son égale. De surcroit, elle a aussi, symboliquement, dans les années soixante-dix, inspiré un mouvement féministe et Maria Hummel pour le prénom de sa protagoniste qui subit un traitement infâmant de la part d’un ami de son père.

 À l’inverse d’une humanité bigrement individualiste, l’homme devrait être une fin, non pas un moyen et, bien sûr, la femme l’égale de l’homme. Le message est effectivement simple mais tellement bafoué. Maria Hummel s’applique à détailler son propos en le romançant. C’est Maggie qui en a la charge en pointant, de-ci, de-là, différentes formes d’assujettissements, de pressions, de dominations voire de coercitions. Elle rassemble, pour reconstituer son puzzle, des éléments à charge disséminés dans la narration et sous le nez de tout un chacun et surtout du lecteur. Et comme nous sommes dans un milieu artistique, les artistes sont les premiers servis. « Erik et Brenae. Le mentor et l’élève. Pas vraiment une nouveauté dans l’histoire des arts. Picasso et Gilot, Rivera et Kahlo, Pollock et Krasner, Rodin et Claudel, Stieglitz et O’Keeffe. Les plus vieux offraient aux plus jeunes leur savoir et leur expérience, les plus jeunes leur énergie stimulante. Et, en général, leur corps. Leurs relations, passionnées dans les premiers temps, connaissaient rarement une fin heureuse, et pourtant de tels rapports se produisaient à chaque génération, et il arrivait que le monde en bénéficie grandement. » Maggie, n’est pas seulement qu’ingénuité et bonne porte-parole, c’est une fouineuse hors pair. Elle retrouvera la fameuse vidéo disparue étalant une mise en scène de sexe dans laquelle Brenae apparaît. Celle-ci avait fait le nécessaire pour qu’elle soit enregistrée en dissimulant une caméra. Elle l’intitulait « Leçon de rouge » et désirait aussi la présenter en public. Elle se montre nue en compagnie d’un homme, nu lui aussi, dont le visage est flouté. Il s’agit d’un viol dans lequel on entend la voix de Brenae répéter en boucle : « Il vient. Il me demande. Je dis oui. Que puis-je dire ? Qu’arrivera-t-il si je dis non ? où irais-je ? ». La vidéo se termine sur un fond rouge. Œuvre testamentaire puisque, quelque temps après, Brenae meurt. L’intrigue réapparait : suicide ou meurtre ?

A priori, pour Maria Hummel, la cause des femmes est loin d’être gagnée, en général, et surtout dans un champ artistique d’élites prétendument visionnaires. Brenae lègue un sacré testament et Maria Hummel un roman noir, non conventionnel, savamment concocté. Maggie, héroïne originale, pensait que la tâche lui incombait de préserver la mémoire de Brenae mais Janis, la directrice de la fondation Rocque, n’était finalement préoccupée que de sauver son musée. D’autres tiroirs s’ouvrent, sombres, sur ce microcosme de l’art californien. Laissons le lecteur les découvrir. Il aurait été dommage d’abandonner ce récit décontenançant en cours de route et, une fois refermé le livre, en attendant le suivant, finalement pourquoi ne pas relire cette vraie Leçon de rouge ?

Michel Martinelli 
(12/05/23)    



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Noir & polar







Maria  HUMMEL, Leçon de rouge
Actes Noirs

(Février 2023)
336 pages - 22,80 €

Version numérique
16,99 €


Traduit de l’anglais (USA)
par Thierry ARSON














Maria Hummel

Leçon de rouge
est son deuxième roman
chez Actes Sud