Retour à l'accueil du site





Florian GAZAN

Broadway Vitas
La vie folle de Vitas Gerulaitis, tennisman et roi de la nuit


Florian Gazan remonte le temps en deux cents pages avec son roman Broadway Vitas, sous-titré : La vie folle de Vitas Gerulaitis, tennisman et roi de la nuit. Effectivement, si Vitas Gerulaitis, irrésistible champion une raquette en main, se hisse furtivement à la troisième place de l’ATP à la fin des années soixante-dix alors qu’il a régulièrement devant lui trois super champions, Borg, Connors et McEnroe, il occupe indiscutablement celle de champion du monde des sportifs noceurs.

L’auteur délègue la narration et Vitas raconte, sans ordre chronologique, sa vie de sportif et celle d’une époque. Il évoque sa famille, ses amours éphémères et ses amis proches ou de rencontres occasionnelles. Sa vie sportive, il la doit à ses parents. Ils ont fui la Lituanie pour échapper aux nazis et au régime de l’Union soviétique. Le père, un ancien tennisman à la carrière avortée, inculque son art à Vitas, un peu récalcitrant à l’adolescence, puis reconnaissant du sacrifice de ses parents. Il a, un temps, pensé que son père projetait sur lui sa frustration d’une carrière avortée. « Je me trompais : il me souhaitait seulement une meilleure vie que la sienne. ». Un choix judicieux d’ascension sociale avec ses fausses pistes. « Pour moi le tennis était devenu un métier et de moins en moins un plaisir – et le Studio 54, lui m’en donnait. […] Nous sortions au petit matin… Moi, j’avais tourné au Perrier parce que, à midi, j’avais match - que j’ai gagné. C’est quand je dors huit heures par nuit que je ne me sens pas bien. […] Je suis un jouisseur : le futile m’est utile. Jouer, c’est jouir. Je me sers du plaisir, dans l’instant. »

En dehors des courts, une vie dissolue vient compenser la frustration. Le "Studio 54", une discothèque de New-York, incontournable, ultra branchée, reçoit tout le gotha, la jet set et les marginaux de la culture underground après une sélection à l’entrée qui peut se montrer impitoyable même pour des stars. Vitas, un parvenu, fils d’émigrés se sentant ultra américain, y brille, heureux d’en faire partie. Il donne sans compter de sa personne en amitiés sincères. Une façon d’occulter le vertige occasionné par la célébrité au goût amer de vacuité lié, aussi, au sentiment de culpabilité d’une réussite inconvenante, une aubaine plus qu’aléatoire pourtant due uniquement à lui-même, mélange de talent et d’entraînement. Un paradoxe qu’il ne sait pas vraiment négocier. Il dépense des fortunes en monnaie de singe pour arroser les amis en alcool alors que lui n’en consomme pas, mais surtout, et de moins en moins incidemment, pour obtenir de la drogue. Il n’a pas su éviter le piège qui l’a conduit vers la retraite. Sauvé malgré tout grâce à l’amitié de Jimmy Connors et la pratique du golf. « Dans le trou laissé par la drogue, j’ai glissé une balle de golf. Je me suis mis à ce sport de vieux millionnaires bronzés à la retraite. » Vitas se sent vivre lorsqu’il est en compagnie. Les rencontres de personnalités comme Andy Warhol, Yves Saint-Laurent, Mick Jagger ou Sylvester Stallone, entre autres, comblent en partie cette soif de présence. Les conquêtes féminines faciles et surtout passagères, généralement célèbres, ne comptent pas pour lui malgré un besoin de séduire les autres et lui-même. Reste un noyau dur, à l’amitié indéfectible : les Borg, Connors, McEnroe, des forçats du court. Un talent souvent supérieur au sien ? Vitas, lui, de condition sociale fort modeste, joue la candeur. Il remarque chez eux une ténacité supérieure à la sienne, obsessionnelle même. Mais, ils ne détestent pas non plus les plaisirs parfois extrêmes. Quant à Ilie Năstase, autre ami "épicurien", initiateur en diablerie, il convertit Vitas dans la recherche du plaisir hors courts et contribue à l’émergence de la légende, Vitas roi des boîtes de nuit. Toutefois, Vitas Gerulaitis a conservé la mémoire de son terroir d’origine, la rue. Il crée, après une rencontre avec les gamins de Brooklyn, des cours d’initiation au tennis avec la "Vitas Gerulaitis Youth Foundation" qui subsiste à sa disparition.

Florian Gazan manie l’humour à la volée, ce qui demande adresse et finesse. Le propos n’est pas sans gravité sous des formules grinçantes à la limite alertes. Il s’intéresse à une vie, celle de Gerulaitis. Les décennies paraissent insouciantes voire désinvoltes et couvrent non seulement une vie avec sa fin tragique, mais elles se déroulent sur une toile de fond, un contexte social où se dessinent, en creux, d’autres vies qui peinent tout autant à trouver un sens à leur existence. Il régnait alors une injonction au cours de cette période, occulte puis de plus en plus prégnante, commandant d’être maître de ses actes, de son destin. Un individualisme déshumanisant pointait. « There is no alternative », l’angoisse à la portée de tous. Il désorientait et détricotait les relations sociales et Vitas Gerulaitis ne pouvait pas, même dans un environnement doré, ne pas en ressentir les effets.

Florian Gazan connaît bien le tennis. D’ailleurs, il dédie l’épigraphe à sa mère. « Pour ma maman qui m’accompagné sur tous les courts de tennis de l’Essonne. » Le livre fourmille d’informations. Qui veut enquêter n’aura aucun mal à vérifier. Il est fiable sur les faits, sachant documenter son propos mais l’on abandonne rapidement cette quête car l’écriture prend le dessus. L’histoire ainsi romancée d’un individu ayant vécu demande l’intrusion de l’auteur pour prêter vie et crédibilité à son personnage. Mais justement, lorsqu’il s’agit d’autrui, comment puis-je conférer à autrui la certitude que j’ai de ses pensées, de ses vécus ? Probablement, mais seul Florian Gazan pourrait répondre, une sensibilité dépassant l’auteur à son insu, assurément une affinité, autorise cet empiétement, semble-t-il. Le choix du personnage ne saurait être neutre. Il ne s’agit plus d’une enquête au ton badin mais d’un roman plus sérieux qu’il n’y paraît.

En une période où s’amoncellent des nuages très noirs, la mélancolie devient une éclaircie roborative, pourtant déjà annonciatrice par certains aspects de notre époque, d’où l’intérêt pour Broadway Vitas. La vie folle de Vitas Gerulaitis, tennisman et roi de la nuit.

Michel Martinelli 
(06/11/23)    



Retour
Sommaire
Lectures










Le Cherche Midi

(Septembre 2023)
208 pages - 18,90 €
















Florian Gazan,
né à Paris en 1968, animateur de radio et
de télévision, signe ici
son deuxième roman.


Bio-bibliographie sur
Wikipédia