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Éric FOTTORINO


Mon enfant, ma sœur

Voici un texte magnifique sur l’absence, le manque d’une sœur jamais rencontrée. Fils aîné, il ne connaît pas son père, il ne connaitra pas sa sœur née d’un autre père qui lui aussi a disparu. Dans les années soixante, avoir des enfants sans être mariée était une infamie. Cette petite fille sera retirée à sa mère dès sa naissance puisqu’elle est issue d’une « faute ».
Toute sa vie, cette femme souffrira de ne pas s’être battue pour garder son bébé. Tout avait été organisé par sa propre mère, qui ne l’a jamais aimée et qui ne voulait pas que la honte empoisonne sa famille puisque sa fille avait déjà eu un premier enfant hors mariage.

« Chez mamie
avant mon père de Tunisie
et ses mains prodigues
on tire le diable par la queue
même s’il faut soir et matin
prier le bon Dieu
encore heureux qu’on ait un toit sur la tête
une bouche en plus
nous aurait jetés sous les ponts
mamie vient d’une noblesse déchue
une grandeur d’autrefois survit
dans les services du dimanche
l’argenterie dépareillée
les pièces de tissus brodés
les assiettes à motifs pâlis
les dés à coudre argentés
un vieux moulin pour le café
une manière aussi
de se tenir droite
de ne pas plier la nuque
de redresser ses épaules
une raideur dans le malheur »

Très poétiques, les mots disent ces vies meurtries par un vide insurmontable. La mère du narrateur porte cette tristesse en elle et même quand elle sourit ou rit ses pensées noires reviennent. Son fils est un témoin impuissant de cette terrible douleur qui la ronge de l’intérieur.  
Lui souffre aussi. Sa sœur n’a jamais joué avec lui, n’a aucun souvenir avec lui. Elle a une vie qu’il ne connaît pas, elle ne sait rien de lui. Pourrait-elle retrouver sa vraie mère, le souhaiterait-elle, se doute-t-elle de quelque chose, d’un secret qui existe dans sa famille d’adoption ?
Il a été insulté car il n’avait pas de père. Cela a déterminé sa façon d’être au monde.

« On n’était pas nés
qu’on était déjà perdus
(qu’on avait déjà perdu)
j’en ai gardé cette habitude
une seconde nature
de me tenir en retrait
d’être celui qu’on oubliera
qui restera sur la touche
qui fermera sa bouche
avec le temps j’en ai pris mon parti
c’est si facile
de s’effacer et toi
et toi, Harissa, passes-tu ta vie à t’excuser de vivre »

Il lui a donné le nom de Harissa pour qu’elle existe. La nommer est essentiel.
Ce long poème est magnifique, chargé de tendresse, de nostalgie et d’espoir. Une extraordinaire ode à l’amour pour sa mère et pour sa sœur. 

Brigitte Aubonnet 
(02/10/23)    



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Gallimard

(Septembre 2023)
188 pages - 21 €

Version numérique
14,99 €










Éric Fottorino,
né en 1960, journaliste et écrivain, est l'auteur d'une quarantaine de livres.

Bio-bibliographie
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