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Une traversée de l’Iran Le titre du livre de François-Henri Désérable n’est pas sans rappeler celui de Nicolas Bouvier : L’usage du monde, un récit de voyage paru en 1963, qui passa à la postérité à la fin des années 90. Ce livre est devenu le livre de chevet de notre auteur, « sa Bible » écrit-il ; tant et si bien qu’il va mettre ses pas dans ceux de Nicolas Bouvier et partir en Iran. Toutefois, la ressemblance phonétique des titres n’induit pas de similitude entre les ouvrages puisque L’usure d’un monde désigne celle de la République islamique au pouvoir en Iran et s’intéresse principalement à la lutte d’un peuple avide d’émancipation et de liberté dans un pays où il arrive que les forces de sécurité tirent à balles réelles sur les manifestants. Fin 2022, au moment même où il reçoit un appel téléphonique du ministère des Affaires Étrangères afin de le mettre en garde contre les dangers d’un tel voyage, l’écrivain est assis dans l’avion prêt à décoller pour Téhéran, où la révolte gronde à la suite de l’assassinat de Mahsa Amini, arrêtée par les autorités au prétexte de son voile qui n’aurait pas suffisamment dissimulé ses cheveux. Les dites « autorités prétendent (….) qu’on ne l’a pas touchée, qu’elle s’est effondrée d’elle-même comme se fane une rose, c’est si courant chez les jeunes filles de 22 ans. » constate F.-H. Désérable qui manie un humour pince-sans-rire salvateur pour le lecteur, tour à tour effrayé et indigné par des situations où la violence le dispute à l’iniquité du régime instauré par les mollahs. Une carte en début du livre aide le lecteur à suivre un périple de six semaines qui permettra à l’auteur de traverser l’Iran de bout en bout en passant par des villes dont les noms, comme Ispahan, font rêver. Sont décrits ses compagnons de voyage rencontrés au fil d’aventures, parfois désopilantes, comme les us et coutumes des Iraniens qui ont de quoi déconcerter un étranger, leur chaleureuse hospitalité et leur goût pour la poésie… Au total, le lecteur apprend beaucoup sur le pays, ses habitants et la révolution à l’œuvre, sourit souvent aux facéties d’une plume alerte et pourrait paraphraser cette citation : « Un mois seulement que je sillonnais ce pays, et déjà je n'étais plus le même. Si l'on voyage, ça n'est pas tant pour s'émerveiller d'autres lieux : c'est pour revenir avec des yeux différents. » … ce qui donnerait : « Deux jours seulement que je lis ce livre, et déjà je ne suis plus le même. Lire, ce n’est pas tant pour s’émerveiller d’autres phrases : c’est pour revenir avec des yeux différents. » Des yeux différents, un regard dessillé et lucide, qu’il convient de conserver en une époque d’une actualité surabondante et cataclysmique au point de créer une sorte d’ « accoutumance » au pire, qui favorise sinon l’oubli, la banalisation d’événements épouvantables. Alors, ne nous habituons pas et gageons que ce beau récit nous aidera à rester attentifs à la lutte des combattantes pour la liberté en Iran et que nous nous souviendrons toujours de puissants slogans, tels que : « Derrière chaque personne qui meurt battent mille autres cœurs » et « Femme, Vie et Liberté ». Dominique Godfard (17/07/23) |
Sommaire Lectures Gallimard (Mai 2023) 160 pages - 16 € Version numérique 11,99 €
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