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Cécile DAVID-WEILL


La cure


Si vous vous sentez d’humeur curieuse, voire aventurière, il existe en ce bas monde un lieu qui peut vous embarquer dans un autre univers, jusque-là relativement confidentiel, mais maintenant dévoilé grâce au livre, La cure, de Cécile David-Weill. L’auteure s’est inspirée de son expérience dans un établissement huppé prodiguant des jeûnes thérapeutiques pour nous conter la vie en huis clos de quatre curistes encadrés par tout un personnel médical haut de gamme. Vous saurez tout, selon le rythme des soins prodigués aux personnages, des méthodes thérapeutiques de cet établissement mais aussi qu’un enfermement d’une douzaine jours, une sorte de retraite spirituelle laïque, provoque chez les uns et les autres des chamboulements affectifs, des ressentiments à propos de leur propre enfance, des remises en cause de soi-même et l’occasion de porter un regard nouveau sur les autres. Selon l’auteure, dans une interview télévisée : « C’est un endroit où l’on ne va pas de façon anodine. On y va souvent quand on se remet en question. Lorsque que comme ça, un moment dans la vie, on a besoin de faire le point ! Les gens ne sont pas là juste pour perdre quelques kilos. Et lorsqu’ils se rencontrent entre eux, en cure, ils sont souvent dans des moments de crise, des moments de doute. Ils sont particulièrement vulnérables et peuvent beaucoup évoluer en fonction de ce qui se passe. »

Le personnage principal, par qui toute l’histoire débute et nous permet la rencontre des autres protagonistes, est Christine Barrault. C’est une chroniqueuse gastronomique un peu boulote animant des émissions de télévision. Des critiques acerbes de certaines téléspectatrices lui sont parvenues. Les kilos en trop peuvent nuire à sa carrière et pour remédier au problème, malgré un manque de ressources financières, elle souhaite faire une cure de jeûne dans une clinique réputée du sud de l’Espagne. Effectivement, l’aventure n'est pas très évidente. « Christine fulminait : pourquoi avait-il fallu qu’elle attende l’instant du départ pour se rendre compte que son idée était absurde, qu’elle n’avait aucune envie de jeûner, et surtout pas en compagnie de Brigitte qu’elle connaissait somme toute assez mal et dont les grands airs l’horripilaient déjà ! […] Et elle, toujours aussi lâche, n’avait pas osé lui avouer qu’elle aurait préféré y aller seule. […] Car Brigitte n’avait, semble-t-il, qu’une idée dans la vie, c’était de fuir son mari et se distraire, de préférence en sa compagnie. » Si l’idée d’une cure vient de Christine, c’est Brigitte qui finance une partie des frais de Christine, créant un duo amical déséquilibré, d’autant que Brigitte Dutilleul est une femme à la taille élancée, brune, savamment coiffée, toujours chic dans ses tenues vestimentaires. Elle en impose malgré sa petite cinquantaine, mais certains symptômes lui font craindre d’avoir héréditairement les mêmes problèmes de santé que sa mère. La cure est une « opportunité de consulter sur place un médecin parmi tous ceux auxquels elle avait accès ». Et, aussi, l’opportunité de penser exclusivement à elle. Sans profession, jusque-là, elle a cherché à plaire à son mari, Éric, qui l’entretient. « Son mari n’était pas un mauvais bougre. Seulement, il était comme de ces anciens frigos d’apparence solide et même inaltérable, qui dataient d’une période où nul ne songeait à en vérifier le bon fonctionnement, à les adapter aux progrès techniques ou les changer pour cause d’obsolescence… » Aussi Brigitte reporte-t-elle toute son affection sur Popcorn, un minuscule chien nichant dans un sac Vuitton et qu’elle emmène avec elle dans la clinique alors que les animaux sont interdits. Le séjour dans l’établissement s’avère d’emblée compliqué car il est indispensable de dissimuler la bête pendant les diverses activités thérapeutiques sans éveiller le moindre soupçon du personnel.

Agnès est une curiste déjà sur place depuis la veille de l’arrivée des deux amies. Elle a « soixante-quatre ans, grosse dame aux allures de grande prêtresse, médium, veuve d’un célèbre restaurateur étoilé, mère de deux filles » qui ont offert le séjour à leur mère. Son don de médium lui donne des visions l’assurant que « la mort n’est pas un trou noir qui engloutit sans retour » et un aplomb moralisateur qu’elle regrette ensuite. Un quiproquo vestimentaire amène Agnès et Christine à sympathiser. Agnès, révélant ses dons de médium à Christine, lui fait part d’un message émanant du père de Christine et pour le moins déconcertant :
« – C’est bizarre, mais là, il a pour vous un message, comment dire, plutôt prosaïque : est-ce que vous avez eu récemment une fuite sous le lavabo de votre salle de bain ?
– Euh ! oui, fit Christine qui n’en revenait pas.
– Il me dit que c’était lui. Il voulait vous prévenir que votre chauffe-eau va vous lâcher, que vous allez devoir le remplacer. […]
– Oui, bon, eh bien ! on verra, réussit à articuler Christine, tandis que les larmes de rage et d’humiliation lui montaient aux yeux. N’avait-on jamais entendu parler d’un message de l’au-delà aussi minable ? »

La présentation d’Agnès à Brigitte provoque chez celle-ci une antipathie grandissante. Agnès, souvent en prise avec ses dons particuliers, est en contact aussi, dans l’au-delà, avec la mère de Brigitte qui cherche à lui faire part, également, d’un message. Brigitte ne veut rien entendre et évite Agnès autant que faire se peut. En revanche, Brigitte est attirée par une dame âgée mais très élégante Marthe Sampras. Marthe a quatre-vingt-cinq ans, est toujours accompagnée par Guy Godinot, la soixantaine, grand et bel homme. Ils forment, en apparence, un curieux couple. L’affabilité de Guy exaspère Brigitte d’autant que Christine insinue de fâcheuses visées écornant la probité du bellâtre. Un jeune vieux beau proposant ses services à autant de vieilles femmes en cure et souvent seules incite à la méfiance. Quant à la vieille dame, Marthe, recueillant la sympathie de tous, lorsqu’elle conte les moments choisis de sa vie, elle déstabilise bien des pensionnaires qui voyaient en elle l’innocence même.

Dans une écriture apparemment goguenarde, La cure, le livre Cécile David-Weill, fait le portrait et la chronique d’une galerie de personnages singuliers en quête de bien-être, avec un parti pris non dissimulé, celui de l’empathie cartous les jugements« découlent du conditionnement de notre esprit, qui nous amène à nous identifier avec les idées qui tournent dans notre tête, alors qu’il s’agit d’une activité mentale à laquelle on n’est pas obligé d’accorder tant de crédit. »

Michel Martinelli 
(11/08/23)    



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Cécile DAVID-WEILL, La cure
Odile Jacob

(Mars 2023)
336 pages - 20,50 €













Photo © Sari Goodfriend
Cécile David-Weill
est une auteure française et américaine. La cure est son sixième livre.



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