Retour à l'accueil du site





Dan FRANCK

L’arrestation


Dan Franck se débarrasse enfin dans un livre d’un événement vécu dans les années 80, un événement qui l’a marqué pour toute sa vie, un événement basé sur les mensonges et les trahisons d’un ami, un événement qui touche à des valeurs fondamentales chez lui, l’amitié, l’engagement politique, l’écriture, un événement qui l’a conduit en prison et sur lequel il veut aujourd’hui faire toute la lumière.

Pourquoi aujourd’hui, quarante ans après ?
Le livre s’ouvre sur une scène de 2016. Interviewé par une journaliste à Marseille, il découvre que sa page Wikipédia comporte un paragraphe dont il ignorait la présence.
« En 1988, au cours d’un procès sur la mouvance d’Action Directe il est condamné à dix-huit mois de prison avec sursis. »
Sa fille n’étant pas encore au courant de ce qu’il nomme « ça », il tente de faire effacer ces lignes mais elles reviennent sans cesse sur la page…
« Je me suis dit que je n’avais plus le choix, qu’il me fallait une fois de plus tenter de construire une architecture sur ces décombres qui avaient matraqué tant d’années de ma vie. Je n’imaginais pas qu’il me faudrait encore sept ans pour y parvenir. »

Le récit commence le 20 mars 1984, lorsque quatre policiers, sur commission du juge Bruguière, l’ont interpelé, ont fouillé son appartement et l’ont conduit au 36 quai des Orfèvres.
Le début de la descente aux enfers…
« L’un d’eux, blond, grand, mince, le regard bleu-rasoir, m’a demandé si je savais où se trouvait le Garçon. J’ai secoué la tête. Il a dit :
– Votre ami a été arrêté ce matin. »
Le « Garçon », c’est Claude Halfen, mais l’auteur ne veut pas écrire son nom (même s’il indique un moyen simple de le trouver dans un de ses livres), il est devenu « l’innommé », « un énergumène pervers et toxique ». Un rejet d’autant plus violent qu’il s’agit d’un ami de longue date, connu en Mai 68, à l’époque du lycée, des blagues en tout genre, du refus de toutes les autorités, des manifestations, de la défense des nobles causes…
On n’est jamais si bien trahi que par les siens ! Dan Franck était très proche de ce « Garçon » qui semblait sans limite, drôle, hâbleur, courageux, capable de tout…
« Je le crois. Je n’imagine pas qu’il puisse me mentir […] nous nous connaissons depuis quinze ans : j’ai confiance en lui. »
Et pourtant, quand le Garçon demande de sous-louer le studio que Dan Franck quitte pour s’installer avec sa bien-aimée, il ne précise pas qu’il en fera le central téléphonique d’une association de malfaiteurs qui opère des braquages pour financer des actions terroristes. Et le Garçon agit de même avee les jeunes femmes qu’il séduit et chez qui il entrepose des armes ou des explosifs. L’une d’elles, Frédérique, encore une amie des années lycée, est entraînée dans une spirale qui la conduit à participer à un braquage.
Lorsque les policiers demandent à Dan Franck s’il connaît cette Frédérique, il ment à nouveau. Pas question de dénoncer, il faut protéger à tout prix, c’est un choix de vie, une valeur fondamentale. Sauf qu’il est le seul à appliquer cette règle.
Victime des mensonges à répétition du Garçon, les policiers lui révèlent qu’il a aussi été dénoncé par une lettre anonyme, sans lui préciser bien sûr qui l’a écrite. Il s’en doute mais ne l’apprendra que bien plus tard. Cette lettre date d’août 83, il y a donc huit mois qu’il est sous surveillance, filature et écoute téléphonique, quand il est interpelé.
Ce que les policiers veulent savoir, c’est ce qu’il faisait exactement le 31 mai 83. Ce jour-là, rue Trudaine à Paris, des policiers veulent contrôler deux individus suspects mais les malfaiteurs ont des complices qui ouvrent le feu. Deux morts et un blessé parmi les policiers.
L’affaire est grave. Les réponses de Dan Franck sont trop évasives, voire mensongères. Le juge Bruguière le place en détention préventive à La Santé. Le jour de son trente-deuxième anniversaire. Il y reste quarante jours dont une partie à l’isolement,
« – Vous êtes seul en cellule, vous n’avez pas droit aux visites sauf dérogation spéciale accordée par le juge. La radio comme les journaux sont interdits.
Deux gardiens sont entrés. Ils m’ont encadré jusqu’à une cellule sale, blanche, trois pas dans un sens, deux dans l’autre. Armoire et table scellées dans le mur. Jour gris pénétrant à travers une fenêtre opaque et cadenassée par des barreaux à trois mètres du sol. La porte et son judas. La lumière qu’on ne peut éteindre ou allumer de l’intérieur. Le lavabo et son robinet d’eau froide. La poussière partout. Le bruit des targettes et des verrous signant la mort, la mort sociale. »

Il écrit beaucoup, des lettres, mais aussi des notes qu’il conservera plus de trente ans dans un dossier bleu et qui n’en sont sorties que pour l’écriture de ce livre.

Après la prison, c’est l’angoissante attente du procès qui ne s’est tenu qu’en 1988. Quatre ans d’attente avant de savoir s’il retournerait ou non en prison.
« La cour disqualifia le délit de participation à une association de malfaiteurs prononcé par le juge Bruguière et retint celui de "brigandage". Se montrant "sensible aux motivations qui ont inspiré la conduite du prévenu" c’est-à-dire reconnaissant la duperie dont j’avais été victime par excès de confiance ainsi que la conduite hors-sol d’un écrivain victime de son goût pour les personnages, considérant néanmoins que cet écrivain avait failli à la conduite exemplaire que la société est en droit d’attendre de lui, le tribunal me condamna à une peine de dix-huit mois de prison avec sursis. Le Garçon écopa de la peine maximum : dix ans. »

Ce livre alterne le récit de la période 1984-88, avec des retours en arrière, notamment Mai 68, les années lycée, la rencontre avec Claude Halfen et l’amitié sans réserve pour ce « Garçon » qu’il considérait comme son frère. Mais aussi les écrits de prison (en italique) et le déroulement des interrogatoires avec le policier qu’il surnomme « le Bordelais » dont les comptes-rendus figuraient dans le dossier qu’il a réussi à se procurer, complétés par les propos du policier lui-même que Dan Franck retrouve bien plus tard et avec qui s’instaure une relation amicale.

Un livre passionnant sur les rêves d’adolescents soixante-huitards, sur les valeurs nobles issues de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, la lutte contre le fascisme et en Espagne contre le franquisme, valeurs qui sont au cœur de l’œuvre de l’auteur, livre sur l’amitié trahie et le traumatisme de se trouver mêlé à des actes qui lui étaient totalement étrangers. Pas seulement un règlement de comptes mais une mise au point personnelle, comme en photo, pour partir du flou et parvenir à la netteté. Enfin, quarante ans après, une vision large, précise et documentée sur cette affaire, le « ça » qui a bouleversé sa vie, une révélation des détails, des arrière-plans, des ombres, de tous les éléments qui l’ont poussé à mentir et l’ont conduit en prison. Un événement de cette nature n’a jamais une cause unique. En cherchant bien, avec honnêteté et sincérité, on trouve et c’est le cas ici. Une intéressante expérience de vie et d’écriture.

Serge Cabrol 
(27/10/23)    



Retour
Sommaire
Lectures








Grasset

(Septembre 2023)
304 pages - 20 €
















Dan Franck,
né en 1952, romancier, essayiste, scénariste pour le cinéma et la télévision, a publié de nombreux livres depuis Les calendes grecques (Prix du premier roman 1980) et obtenu
le prix Renaudot 1991
pour La séparation.


Bio-bibliographie sur
Wikipédia













Retrouver sur notre site
un autre livre
du même auteur :


La Société