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Clémentine HAENEL

Pleins phares


Pleins phares est une ronde. Ou un cercle. Les personnages tournent en tout cas. Ils tournent dans le roman, apparaissant, disparaissant puis revenant tour à tour. Ils tournent dans leur vie, qui semble bloquée ou au point mort. Une lueur, pourtant, est là, à la portée de tous. C’est une lueur qui s’appelle le pardon mais vont-ils s’en saisir ? Tout l’enjeu du récit est là : peut-on pardonner ?
Une amie peut-elle pardonner à son meilleur ami de l’avoir trahie en tombant amoureux puis en partant ? Un ami peut-il pardonner à une amie de ne pas avoir compris qu’il partait par amour mais aussi pour se fuir ? Une mère peut-elle pardonner à un fils de se fuir dans tous les articifices possibles quand elle le croyait en train de faire ses études ? La même mère peut-elle pardonner à son autre fils d’être devenu un tueur ? Ce tueur se pardonnera-t-il de l’être devenu ? Et son frère ? Pourra-t-il le lui pardonner ?
Chacun de ces personnages, Mauve l’amie, Yaya et son frère Mahdi, Agapé la mère, chacun de ces personnages et quelques autres tournent ainsi dans cette part d’obscurité qui est entrée en eux et oui, que vont-ils en faire ?
Dans une langue très actuelle, vive et sans concession, ancrée dans le présent et le réel, Clémentine Haenel nous fait accéder à ces destinées dont le point central est Madhi.
Il vient d’être arrêté et mis en prison, alors l’étendue de ses crimes a été révélée. Des crimes atroces, commis sur plusieurs femmes. Dans sa cellule, Mahdi se les repasse en boucle dans sa cellule sans éprouver aucun remords. Il est le personnage résolument noir du roman. Il incarne cette part obscure que les autres vont avoir à combattre, à commencer par Yaya qui, lui, rongé, dépassé, finit dans la pire unité psychiatrique qui soit, l’UMD, l’unité pour les malades dangereux.
Jamais on ne pénètre dans de tels lieux mais Clémentine Haenel, avec une précision de sociologue, nous y conduit. On y voit la maladie mentale emprisonnée, maltraitée. Et on en vient à se demander où se trouve décidément l’humain.
Il est dans ce qui se dessine peu à peu, ce chemin qui consiste à se détacher de soi-même pour aller vers l’autre. Hormis Mahdi, chaque personnage va mener ce chemin à sa manière et c’est vraiment beau à suivre. On l’a dit : la langue de Clémentine Haenel est sans concession, ce n’est donc pas dans le pathos qu’elle verse. Elle nous montre seulement les pas de côté que chacun peut faire et qui peuvent faire changer de regard, de point de vue, puis de route.
On sort ainsi du récit avec, comme le dirait Mauve, « un truc à s’en éblouir les yeux ».

Isabelle Rossignol 
(22/12/23)    



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Lectures







Clémentine HAENEL, Pleins phares
Gallimard / L'Arpenteur

(Septembre 2023)
320 pages - 21 €





Clémentine Haenel
Pleins phares est son deuxième roman.