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Olivier CIECHELSKI


Feux dans la plaine


Le premier roman d’Oliver Ciechelski, Feux dans la plaine, se démarque des romans policiers où l’humour et les formules à l’emporte-pièce ponctuent, en général et pour notre plaisir aussi, des situations, réflexions ou descriptions, maintenant ainsi notre attention et allégeant une certaine noirceur. Oliver Ciechelski contrôle ses phrases comme le marcheur expérimenté vérifie le sol avant de poser le pied, ce qui éveille aussi notre attention et la garde toujours active. Il maintient notre intérêt tout au long de son récit avec un regard décalé non moins critique et captivant. Vous ne trouverez pas l’ironie habituelle dans l’épopée de ce roman mais tout le sérieux possible pour survivre dans la nature, sans y être beaucoup préparé.

En quelques pages Oliver Ciechelski pose sobrement mais efficacement le décor. Stanislas Kosinski dit Stan, ancien militaire, est venu dans les alpages pour retrouver un peu de sérénité et cautériser un passé tragique. Il vit pratiquement en ermite sur une parcelle de maquis et de ravins, pas même cultivables, à flanc de colline. Il réduit au minimum ses contacts avec le reste de la population du village le plus proche. Une mauvaise humeur l’agite lorsqu’il découvre l’amorce d’un chemin tracé de repères bleus, des traces laissées sans son autorisation sur sa parcelle de terrain. Devinant qui en est l’auteur, il demande, sinon réparation, du moins les excuses de Castagnary, un baronnet possesseur de pratiquement toute la colline. Lui et ses amis chasseurs s’autorisent sans vergogne de profaner ce que Stan considère être chez lui, un sanctuaire dans lequel il trouve le début de bien-être recherché. De fil en aiguille, de sourires arrogants en provocations verbales, une querelle de coqs dégénère. « Stan s’en voulait. Il aurait voulu ignorer l’intrusion des chasseurs, l’insolence de Castagnary. Après tout il n’y avait rien de dramatique. Les collines se partagent. »  Mais, le baronnet a sauvagement éventré un sanglier à demi sauvage, Tarzan, que Stan avait élevé puis rendu à la liberté. La bête habituée à la présence humaine ne s’est pas méfiée du prédateur. La dispute de voisinage se mue en conflit ouvert. Le ton monte, le poing de Stan signe son empreinte sur la face de Castagnary vexé. S’embraye alors une spirale de la rancœur. Stan, surpris, est devenu le gibier des chasseurs vengeurs et enragés qui brûlent sa maison. Il leur échappe de peu. « Il s’accroupit dans l’obscurité, ouvrit son sac et prit le Beretta. Il trouva le chargeur dans le noir et sut, au poids, qu’il était plein. Il s’en voulut d’avoir laissé le reste des munitions à la maison. Il n’avait jamais été bon dans l’improvisation. Il aimait observer, réfléchir, prévoir, préparer, anticiper. Autant dire qu’il n’aimait pas la situation où il se trouvait. » S’engage alors une partie de cache-cache au cours de laquelle Stan subira tout ce qu’il n’aime pas.

Feux dans la plaine nous est présenté, en quatrième de couverture, comme la rencontre de Rambo et Giono. Stan est plutôt un héros au petit pied. Ce qu’il avait aimé « à l’armée, on ne questionne pas, on obéit ». Humain, il conserve un reste de discipline martiale, humble et conscient de ses moyens limités car sa condition physique n’est plus ce qu’elle a été. Gibier, il laisse des traces qui n’échappent pas à des chasseurs aguerris, perd le peu de minutions à sa disposition. La chance est modérément de son côté et il réussit à se sortir de situations délicates grâce à une nature maîtresse chez elle, dérobant des pièges inattendus à ses ennemis qui se pensent plus rusés.

Oliver Ciechelski développe l’errance de son héros fragile, tenace dans sa volonté de survie, au milieu de paysages sauvages et d’autres domestiqués par l’homme mais restés hostiles. La nature reprend ses droits, déployant une harmonie peu propice à la présence humaine. L’ignorance étant le principal danger pour Stan. « Cette évidence l’avait frappé en arrivant sur cette colline : il ne connaissait pas le nom des choses. Parmi les herbes il reconnaissait le thym, et c’était à peu près tout. […] Les genêts, il les reconnaissait à leurs fleurs jaunes. […] Parmi les arbres, il distinguait facilement les chênes, avec leurs petites feuilles qui ressemblaient à des motifs de camouflage, et les résineux, qu’il appelait d’un vague "les sapins". Il avait peu progressé. » Savoir décrypter la nature demande un apprentissage. L’épigraphe : « I learn by going where I have to go », Stan l’expérimente. Au fur et à mesure de sa déambulation déboussolée, solitaire, Stan se compose une connaissance pragmatique de la nature pour ne pas divaguer. Un retour à la nature dans lequel Oliver Ciechelski se délecte en nous la dévoilant et nous comble lorsqu’il retrouve effectivement le sillon de Giono tout en ayant une patte personnelle. Pas après pas, Stan devient de plus en plus nature, affranchi. « Alors il suit ce fil, puis un autre : d’arbre en arbre, l’odeur musquée en forme de toile d’araignée instable, évanescente et néanmoins tangible. Il suit cette carte invisible qui se superpose au relief, lui donnant une dimension nouvelle et profonde. » L’homme est redevenu un élément de la nature. La garde de Stan baisse et, à l’instar de Tarzan le sanglier semi-domestiqué, il va, sans défiance de la sauvagerie humaine.

Le livre d’Oliver Ciechelski est d’une bienfaisante et excellente compagnie sur ces chemins de traverse où la recherche de l’harmonie entre les hommes est problématique tout autant que celle de l’homme avec la nature. Discrètement, Feux dans la plaine nous interroge, avec des procédés tout à fait romanesques, sur le bon, le mal et le beau.

Michel Martinelli 
(13/09/23)    



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Noir & polar








Rouergue Noir
(Septembre 2023)
256 pages - 20 €

Version numérique
14,99 €











Olivier Ciechelski,

né en 1973,
a écrit et réalisé
plusieurs courts-métrages
et documentaires.
Feux dans la plaine
est son premier roman.