S’il n’y a plus d’êtres humains, « la végétation reprendra la main sur le monde », mais « nous ferons de chaque fleur une déesse. / Il y aura des jacinthes et des violettes. / Et des plantes sauvages qui toujours reviendront. » Cette juxtaposition de l’effondrement du genre humain avec cette nature en fête pondère le vécu de la catastrophe. C’est en cela que ce livre est un talisman.
Parfois la peur, les doutes subsistent ; « Je garde le cap malgré la peur, / j’essaie d’apprivoiser les doutes, de les ranger les uns à côté des autres ou de les empiler. Peut-être qu’en faisant ça, je réaliserai qu’il n’y en a pas tant. / Dis-moi ? / J’ai peur de la noyade, d’être seule sur la plage vide, qu’il ne reste plus rien. »

Beaucoup de questions restent sans réponse : la place des animaux, que deviendront-ils ?
« J’ai peur que sans les oiseaux le monde d’après ne vaille pas le coup. »
« Faudra-t-il tuer des bêtes pour les faire cuire sur notre feu ? »
« Est-ce que les animaux nous laisseront revenir parmi eux ? »
« J’essaie d’imaginer comment faire revenir le règne des baleines. »

Ce sont aussi tous les gestes du quotidien qui sont revisités dans la perspective du monde d’après ; l’autrice voit sur le chemin une carapace de coléoptère brisée et veut la prendre en photo « mais dans le monde d’après il n’y aura plus d’appareils. Alors j’ai renoncé, pour m’habituer. »

Le savoir-faire des ancêtres, ce sont aussi les plantes qui soignent : le chardon pour les maux de ventre, les bourgeons de peuplier pour remplacer l’aspirine, l’écorce de hêtre pour la fièvre, les cônes de houblon pour s’endormir, le coquelicot pour la toux…

Le monde d’après de Céline Cerny, c’est aussi celui de la liberté et de l’émancipation des femmes ;
« Tu te souviens, dans le monde d’après, on s’aimera au grand jour, on s’embrassera devant tout le monde et ce sera aussi juste que le lever du soleil. » « les femmes n’éplucheront plus les oranges pour les hommes. […] on ne violera plus les filles qui aiment les filles, on ne frappera plus les garçons aux ongles roses. /  Dans le monde d’après, tu aimeras qui tu veux. »

Parfois une lueur d’espoir apparaît.
« Je devrais mieux t’écouter, ce n’est pas de l’insouciance que tu me murmures à l’oreille, mais une confiance en nous. »
« Pour soigner la douleur, on se mettra ensemble. La douleur est toujours pire quand on reste seules.
Ne rien abandonner, ne laisser personne derrière soi, quelle que soit notre destination. »
« Dans le monde d’après, nous aurons appris à tirer parti de la privation. »

Beaucoup d’images poétiques ou fantastiques traversent le texte.
« nous aurons des enfants papillons. »
« Des plumes tombées des oiseaux nous rappelleront nos incomplétudes.
Dans les couleurs, nous puiserons bravoure et extravagance. »
« Dans le monde d’après, nous chasserons les papillons sombres de la douleur à coup d’histoires à dormir debout. »

Les peintures de Line Marquis sont très colorées et un peu surréalistes. Ce sont des paysages de montagne, de campagne, de forêts, de mer, de ciel enflammé. Les animaux et les humains y sont minuscules, comme assujettis à la nature.

Nadine Dutier 
(28/08/23)