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Fabrice CARO

Journal d’un scénario


Fabrice Caro a la vis comica. Le comique est une mécanique qui se doit d’être bien huilée, et Caro excelle dans cet art mécanique rigoureux et exigeant. Son narrateur, Boris, est scénariste. Il a écrit un scénario tout en tendresse et en retenue, sur une rupture. Les personnages se nomment Ariel et Marianne. Pour les interpréter, Boris ne voit que Louis Garel et Mélanie Thierry. Il a intitulé le scénario Les Servitudes silencieuses, et voudrait que Christophe Honoré réalise le film, en noir et blanc. Son journal commence le jour où Jean Chabloz l’informe qu’il a lu et aimé le scénario, et qu’il veut que le projet aboutisse. « Nous allons faire un beau film » répète-t-il.
 
Sur ce point de départ, assez mince, une tornade de péripéties se met en branle, dévorant tout sur son passage, et singulièrement la teneur-même du scénario. De renoncement en renoncement, poussé par les producteurs d’une chaîne TV, Boris modifie son scénario afin qu’il puisse intéresser le plus de spectateurs possible – pas que les Parisiens mais aussi et surtout les provinciaux, pas que les intellectuels mais aussi et surtout un public populaire, etc. Louis Garel et Mélanie Thierry ne sont plus que des silhouettes qui s’éloignent à grande vitesse, le scénario devient farfelu, lorgnant plus du côté de La Soupe au chou que d’un Rohmer ou un Carax.
 
Voilà pour la réalité. Parallèlement se met en place toute une série de quiproquos, parce que Boris n’a pas le courage de dire à la femme qu’il vient de rencontrer, et dont il est amoureux, que le scénario évolue sous la pression des producteurs ; parce que Boris n’a pas la force de parler de ses états d’âme à son meilleur copain qui est en plein divorce… Le scénario de la vie de Boris relève du comique de situation, dans le registre de la tendresse. Le scénario massacré par les producteurs relève, lui, du comique franchouillard en limite de scatologie. La confrontation de ces deux formes de comique est irrésistible.
 
Le roman de Caro est truffé de références cinématographiques et musicales délicieuses. Les inserts du texte du scénario qui nous sont donnés sont savoureux, on y voit Boris se battre bec et ongles pour conserver un peu de poésie et de hauteur dans une histoire qui tourne au grand guignol.
 
Voilà un roman à lire d’une traite. On y rit à gorge déployée, souvent, et l’on a tout aussi souvent la gorge serrée. Caro construit une histoire de désastre et de renoncements sur le seul mode qui soit approprié au malheur de l’homme contemporain : le comique. Le talent de Fabrice Caro repose, entre autres, sur la maîtrise parfaite des mécanismes comiques et sur une empathie formidable envers les petits perdants quotidiens.
 
Une réussite indéniable, que ce Journal d’un scénario. À lire, et à offrir autour de soi.

Christine Bini 
(31/08/22)    
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Fabrice CARO, Journal d’un scénario
Gallimard / Sygne

(Août 2023)
208 pages - 19,50 €





Fabrice Caro,
né à Montpellier en 1973,
est romancier et auteur de bandes dessinées.


Bio-bibliographie sur
Wikipédia



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