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Jean Claude BOLOGNE

Emprises
Les contes du père Susar


Essayiste, romancier, nouvelliste, Jean Claude Bologne est aussi un fabuleux conteur. Et le personnage principal de ce nouveau roman est justement un conteur. Mise en abyme de fictions dans la fiction ? Pas tout à fait parce que le conteur du roman va raconter en douze chapitres la vérité sur chacun des personnages d’une saga familiale dont chaque membre vit sous l’emprise d’un autre sans être libre de ses choix. Un écheveau de secrets sur plusieurs générations, quasiment inextricable mais que le conteur va réussir à démêler au fil de ses histoires. On voit aussi qu’être sous emprise entraîne parfois à exercer soi-même une emprise sur autrui.

Vers 1730, près de Liège, un homme âgé, surnommé le père Susar, vit caché dans un hameau isolé. Pourquoi ? On le saura plus tard.
Ce que l’on sait dès la première page, c’est que sa fille cadette, Anne, vient le trouver dans sa retraite pour lui demander de l’aide.
« Vous allez conter, père Susar. Comme vous savez le faire. Pas sur ce qui fut ni sur ce qui est, mais sur ce qui sera. Nous savons que vous avez le don. Aujourd'hui, vous ne pouvez pas le refuser : il s'agit de votre petit-fils. »
« Anne, pour votre fils, je conterai. Et si je n'ai pas perdu les mots qui s'incarnent, ce que je conterai arrivera. Mais pour cela, il faut que vous me disiez tout. Il va falloir que je délie tout ce que j'ai noué. Et la vie a tiré sur les nœuds, ils sont bien serrés, à présent. »
« Anne parle, décrit les personnages, raconte les événements, détaille les craintes et les promesses. »
Elle raconte au père Susar mais pas au lecteur. Patience…

Dans les jours qui suivent, le père Susar qui est menuisier, sculpte douze statues de bois, chacune dans une essence différente, qu’il installe autour d’une table comme une Cène.
Et là, en douze chapitres, il va s’adresser à chacune des figures de bois pour lui dire sa vérité, rappeler le passé, les mensonges, les secrets. C’est donc peu à peu, de chapitre de chapitre, que le lecteur découvre les ténèbres de cette famille et les emprises dont il faut les libérer. L’argent, le pouvoir, l’orgueil, la transmission de l’héritage, les arrangements sordides, les accidents plus ou moins volontaires, les déceptions, les ruines, les séparations, les décès, tout n’est pas joyeux et transparent dans cette famille.

Heureusement, il y a le petit-fils, Jacques, et sa voix d’or. Il chante comme un séraphin et c’est pour lui que sa mère s’inquiète, au point de venir voir le père Susar.
Jacques connaît les pouvoirs de sa voix qui fait chavirer les fidèles à l’église et les gens dans les rues où il chante parfois pour récolter quelques pièces et nourrir la meute de chiens errants qu’il a constituée dans la ville.
Mais à quinze ans, il découvre que sa voix peut aussi séduire. Une jeune fille par exemple dont il apprendra qu’elle s’appelle Agnès. Et voilà sa vie toute bouleversée.
Seulement à quinze ans, sa voix va muer, il ne sera plus le merveilleux séraphin du chanoine qui voudrait tant satisfaire l’évêque qui rêve de l’emmener chanter à Rome.
Évidemment, il y a un moyen pour que Jacques conserve sa merveilleuse voix, au prix d’un autre organe. Une petite opération pratiquée par le chirurgien et présentée ensuite comme la conséquence d’un malheureux accident.
« Il y a beaucoup d'accidents, en Italie. Curieusement, ils affectent surtout les jeunes gens dotés d'une jolie voix, à la même époque et au même endroit, précis et précieux, de leur anatomie. Les États pontificaux et le royaume des Deux-Siciles se sont fait une spécialité des falsetti, qui s'exportent à grands frais dans toutes les cours européennes. La musique italienne est à la mode et les musiciens composent pour les voix dont ils disposent. Ah, ils ont le sens des affaires, les
Italiens ! Ils vendent la musique et les chanteurs qui sont seuls capables de l'interpréter. »
Pour Jacques, c’est une carrière assurée, une existence dorée. C’est tentant. Mais il a aussi découvert son attirance pour les jeunes filles et il n’est pas prêt à y renoncer…

Agnès a le même âge que lui et chez elle, on veut la marier à un bon parti, qui fera fructifier l’entreprise familiale. La fusion des avoirs plutôt que le bonheur des êtres. L’époque n’est pas aux mariages d’amour mais aux alliances de raison.

D’où viennent Jacques et Agnès ? À quelles pressions et obligations doivent-ils se plier ? Et pourquoi faut-il accepter ces diktats familiaux ? C’est tout l’enjeu de ces emprises que le père Susar va dénouer en remontant dans le temps pour descendre de génération en génération jusqu’aux deux jeunes tourtereaux et leur éviter d’être enfermés dans des cages, fussent-elles dorées.

Jean Claude Bologne joue à merveille avec l’art du conteur et, au fil d’une langue ciselée et intemporelle, nous plonge dans les us et coutumes du XVIIIe siècle grâce à la parole d’un vieux menuisier, Compagnon du Devoir, suffisamment impliqué dans les origines de cet écheveau pour être le seul susceptible de le démêler et d’en libérer les protagonistes.
Encore une magnifique preuve du grand talent de l’auteur dont l’œuvre déjà riche de plusieurs dizaines de titres ne cesse de nous offrir chaque année de nouvelles surprises.

Serge Cabrol 
(15/11/23)    



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Jean Claude BOLOGNE,  Emprises
Maelström reEvolution

(Octobre 2023)
324 pages - 18 €










Photo © Y.M
Jean Claude Bologne
critique littéraire et professeur d’iconologie médiévale, membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. a publié une quarantaine de livres : romans, nouvelles essais, dictionnaires...


Pour visiter le site
de l'auteur :
www.jean-claude-bologne.com








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