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Luc VEZIN

La vie sans histoire de James Castle



Dans cette biographie romancée de James Castle, l’auteur présente sa découverte de l’œuvre de ce « primitif » américain ou « outsider » de l’art graphique comme le fruit du hasard, la conséquence d’une rencontre avec un inconnu. Cet homme l’incite à visiter l’exposition qui lui rend hommage à Philadelphie. Il en ressort surpris au-delà de ses attentes et déborde de questions qu’il tente ici d’élucider.
Tout le roman semble une quête pour démêler le vrai du faux, débusquer les inventions de la légende reconstruite après la mort du peintre et de ses proches.
L’auteur présente les étapes de la vie personnelle et familiale de James Castle par le biais de témoignages des personnes qui l’ont connu ou qui ont joué un rôle dans sa mise en lumière.

James est né en 1899 dans une famille pauvre d’immigrés irlandais qui, après avoir tenté leur chance dans la ruée vers l’or, ont fondé une ferme dans la province de l’Idaho, au nord-ouest des États Unis. Sa mère accouche avec deux mois d’avance, épuisée après avoir tenté d’éteindre l’incendie de leur grange. L’enfant est sourd et handicapé.
Sa sœur Patricia perd l’audition à huit ans à la suite d’une méchante rougeole, ce qui la rend plus proche de son frère et plus compréhensive. Elle acquiert un appareil-photo qu’elle baptise « l’oreille de la sourde ». « Il est plein de toutes ces choses que la surdité lui a appris à voir et à entendre autrement : le balancier de l’horloge, les lattes du parquet où résonnent encore des pas, le crépitement d’un feu. »
Le jeune Jim se met à dessiner sur tout ce qu’il trouve : emballages, enveloppes, journaux, cartons. En guise de peinture, il prend de la suie qu’il délaye avec sa salive, qu’il applique soigneusement avec des petits bouts de bois. Pour les couleurs, il délaye des papiers crépons.
Dès qu’il croise quelqu’un, il présente fièrement ses dessins, pointant alternativement sa poitrine et son dessin pour montrer qu’il en est l’auteur mais aussi « qu’il ne faisait qu’un avec ce qu’il représentait : ces petites maisons de bois, ces rues de terre battue et cette épicerie- café-bureau de poste. » Mais les gens ne voient en lui qu’une nuisance et se détournent. « Ceux qui avaient quelque compassion imaginaient qu’il devait souffrir de ne pas entendre, alors que c’était de ne pas être vu. »
C’est son neveu Bill qui le premier « veut savoir si son oncle est un raté ou un génie ». Lui-même étudie les arts pour devenir illustrateur et se demande comment au milieu de tant d’indifférence son oncle Jim pouvait continuer de dessiner sans jamais se lasser. La réponse lui vient à travers l’avis d’un professeur renommé qui estime qu’il s’agit d’œuvres d’un « authentique primitif ».

La première exposition des œuvres de James Castle est due à l’émerveillement d’un professeur d’art de Portland pour son travail. Elle s’est tenue en mars 1951 à la galerie du Museum Art School de Portland et a remporté un certain succès. Une autre exposition a lieu en 1960, organisée par son neveu Bill.
Puis un peintre l’expose en 1962. Il s’agit de Patrick McCloskey qui, à propos de l’art de James, a la sensation « d’entrer dans le monde de sa pensée sans mot ».
C’est à cette gageure de traduire cette pensée sans mot que Luc Vezin se confronte quand James devient le narrateur. Il prête alors à James une sensorialité riche en odeurs, en couleurs, et un vocabulaire défaillant qu’il compense par des périphrases habiles. « Le noir de mes dessins sent encore le feu. Il se rappelle qu’il était l’arbre vert, au bois couleur bois, à l’odeur du bois qui sort de lui quand le soleil le chauffe, et aussi l’odeur chaude du bois quand, en dansant, sortent de lui du bleu, du blanc, du jaune et du rouge. »

Luc Vezin évoque aussi le besoin de reconnaissance que chaque artiste éprouve et auquel n’échappe pas James : « nous, qui nous proclamons artistes, nous avons besoin qu’une autre personne nous reconnaisse comme tels. Jusqu’à ce moment-là, nous ne sommes rien et, si ce moment ne vient jamais, c’est que nous n’étions rien. Alors, il a accroché cette petite ficelle blanche pour y suspendre son dessin, un peu comme s’il y suspendait son existence, puisqu’il ne faisait que cela de sa vie, dessiner, l’a suspendue, donc, pour que d autres, en le regardant, lui disent qu’il était bien ce qu’il n’avait cessé de croire qu’il était depuis toujours, un artiste. »

Ce roman a le mérite d’inciter les lecteurs à découvrir cet artiste inconnu en France.  Il nous interroge également de façon originale sur la question « qu’est-ce que l’art ? »

Nadine Dutier 
(20/09/22)    



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Luc  VEZIN, La vie sans histoire de James Castle
Arléa

(Août 2022)
224 pages - 19 €











Luc Vezin,
historien d’art et journalste, a écrit plusieurs livres consacrés à l’art du XXe siècle. La vie sans histoire de James Castle est son premier roman.