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Jakub SZAMALEK


Tu sais qui


Ce roman qui se passe en Pologne nous accroche au début, nous interroge au milieu et ne nous lâche pas jusqu’à la fin ! Peut-être faudrait-il avoir quelques notions sans doute utiles pour mieux saisir ce que ces interlocuteurs anonymes et cachés peuvent révéler… Encore que… ! 
Le sous-titre « Trilogie du Dark net 1 » sous-entendrait-il une suite ?
Notre attention est éveillée, et prévenue, puisqu’il nous est précisé en avant-propos que « ceci n’est pas un roman de science-fiction » Aïe ! Mais bon, il faudra reconnaître que le domaine bien décrit, et même explicité aux néophytes, sent le « vrai »…

Léon Nowinski, se rendant à son travail chez Diet-Pol, « un producteur d’en-cas et de boissons peu caloriques », est témoin ce matin-là d’un accident. « Sa voix s’étrangla dans sa gorge. Au lieu de tourner, la Jeep fonça tout droit, sans ralentir, et cogna à pleine vitesse la barrière de la voie rapide. L’automobile de plusieurs tonnes déchira la rambarde et chuta sur la rue Jagiellonska, s’écrasant sur l’asphalte. »

Le personnage qui deviendra principal, Julita, cette jeune journaliste sur un site web, sérieuse et acharnée, doit se débattre dans les confins mystérieux du dark web. Elle veut conserver cet emploi, un tremplin pense-t-elle pour un « vrai » et futur travail de journaliste. Mais cet acharnement courageux va faire d’elle, plus tard, une cible sur les réseaux sociaux. Sa curiosité et son intuition lui font donc contacter le témoin du drame, Léon, ce : « graphiste créateur », puisque dans les images de l’accident, elle reconnaît un personnage, populaire s’il en est, le fameux Buczek. Cette mort accidentelle l’interrogepar certains aspects. « Donc, commença Julita, je sais que cela va sonner comme un scoop de bas étage, mais… j’ai l’impression que cela n’était pas un banal accident. » Et la victime n’est autre que le fameux « Monsieur Pistache », bien connu et fort apprécié de son public.
Elle veut comprendre et, pour ce faire, accepte l’aide d’un spécialiste des nouvelles technologies car celles-ci, dans leur actualité de plus en plus complexe, dépassent de beaucoup ses connaissances.  Julita « savait qu’il s’agissait de sa chance d’écrire un Article avec un grand A, un texte qui serait son laissez-passer pour un Journal Sérieux. Elle ne pouvait pas gâcher cette opportunité, elle ne pouvait pas laisser tomber. »
Elle va découvrir avec son collègue les arcanes inconnus de la « cyber criminalité » mais il va lui être très difficile d’en saisir toutes les ramifications et, pour essayer de les démêler, elle va devoir traverser ce territoire méconnu, sans laisser de traces ! Et avec quelques inconvénients supplémentaires, puisqu’elle est harcelée et même menacée si ses recherches vont trop loin !

Julita, aidée par cet as de l’informatique qu’est Jan Tran, dont nous apprendrons plus tard quel est l’autre métier, découvre des souterrains impressionnants de complexité qui interrogent.
Mais… ne serait-ce quand même pas un peu de la fiction ? Le doute subsiste, et c’est ce qui fait, entre autres, la force de ce roman ! Parce que la lecture, et les questions qui viennent, remettent en cause les premières interprétations… alors que tout se tient !

De découverte en découverte, comme de non-dits en mystères qui peuvent demeurer tels quels, du moins un moment, le fil conducteur s’étire dans ces recherches techniques, sans cesser de manipuler notre intérêt. Raconté et mis en actes par Julita, le suspense nous étreint de nombreuses fois, ainsi : « En fin de compte le scandale avait été étouffé […] À ceci près qu’un an plus tard, M. Buczek tombait d’un pont dans des conditions obscures et mourait sur le coup. »

En revenant d’une certaine façon au début, cette histoire laisse libre cours à toutes les visions et autres spéculations. Mais n’est-ce pas là que se situe le talent de l’auteur…qui nous aura bien promenés…ou repris dans ses filets ?
Sans oublier les critiques acerbes – et bien ciblées à propos de certains organismes ou personnalités – comme celle concernant le procureur Bobrzycki. « La toge de procureur dont il avait tant rêvé était confectionnée dans un tissu minable qui lui irritait le cou. Mais il ne se plaignait pas, faisait ce qu’il avait à faire du mieux possible et œuvrait loin des feux de la rampe à ce que LE FONDEMENT DU POUVOIR ET DE LA PERENNITE DE LA REPUBLIQUE se porte bien ! » Et plus loin : « Il n’était plus le représentant de la justice, mais un membre d’une sinistre caste dominante dont les heures étaient comptées et, au lieu de l’hermine rouge du procureur il portait en fait un collier de chien au cou. »

En dehors de l’intrigue, de la découverte de certains faits, de la pénétration dans un monde complexe, et avec peut-être un doute important quant à sa réalité pour certains lecteurs et lectrices, il y a bien, outre la satisfaction de pouvoir rester accroché, le fait que ce roman nous donne à voir, à comprendre, et aussi certainement, à réfléchir !
Si nous savons que ces nouvelles technologies, de plus en plus performantes et sophistiquées vont s’imposer en se rendant tellement utiles, vont-elles nous obliger à une vigilance constante et de plus en plus adaptée ? À suivre...

Anne-Marie Boisson 
(26/12/22)    



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Noir & polar








Métailié Noir
(Septembre 2022)
440 pages - 23 €


Traduit du polonais
par Kamil Barbarski











Jakub Szamalek,
né à Varsovie en 1986, est archéologue, écrivain et scénariste de jeux vidéo.



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