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Anne SIBRAN


Le premier rêve du monde


Paul Cézanne peint dans la campagne aixoise, ayant déjà rompu avec l’académisme et sûr de ce qu’il veut faire.
« Ils sortaient [Cézanne et Pissaro], avec les tubes, les palettes, parcourant les bois, les campagnes avec l’ambition secrète d’éveiller leur regard, de capter des sensations.
Par une sorte d’instinct, ils avaient compris – sans vraiment se le formuler d’ailleurs – que ce que l’on appelait "la nature", à l’époque, n’était plus vraiment peint. Le monde n’avait plus de témoins.
"L’art du paysage" se pratiquait à l’abri, sous le toit des hommes, dans les académies de peinture, la lumière des lustres en surplomb…
La peinture était devenue cette grammaire, disposée en faction devant le monde, où l’arbre n’existait plus dans sa surgie, mais comme un faire-valoir, l’élément d’un décor bien pesé où l’homme tenait le premier rôle… »
Mais voilà que Cézanne a des problèmes d’yeux, ils lui piquent, il larmoie et un matin il ne voit plus rien quelque temps, il ne voit plus le matin du marché, il l’entend seulement dans le vent.

« LE REGARD NEUF
Barthélemy Racine
(Ancien interne au service d’ophtalmologie
de l’hôpital Saint-Antoine) »

  Barthélémy Racine est le deuxième personnage. Enfant s’élevant un peu tout seul dans un institut pour aveugles, il devient ophtalmologiste, comme son père, invente un crochet et une pompe pour ôter le cristallin dans l’opération de la cataracte. Il participe à la Commune de Paris et, après sa répression, s’exile aux Amériques où il continue son métier. Un peu en secret, ce qui le fascine c’est le premier regard, quand on enlève les pansements de l’opéré d’une cataracte congénitale.
« À peine les yeux de la jeune fille s’entrouvrent-ils, voilà que tout semble plus vivant autour d’eux : les rayons du soleil par le volet tiré, le châle de laine grise, les mèches qui tombent sur son visage. Et même ce tabouret. Il pourrait faire la liste de chaque objet, tant ils surgissent, ils se montrent. Tant il les voit, maintenant. Une joie les cerne, les rehausse, les fait presque parler. »
Aux Amériques il rencontre une jeune Indienne avec une cataracte congénitale, Kitsidao, « Celle qui marche comme une montagne ». Aveugle, elle bavarde quand même avec le vent, les arbres, les plantes, les traces d’animaux et danse, vit les éléments de la nature, un peu chamane. Cézanne, avec la vue, a la même démarche. « Chaque matin, quand Cézanne part au motif, il en appelle à ces témoins, divinités minérales, ligneuses ou liquides… » Regard aveugle, intérieur, et regard des yeux cherchent la même chose, être présent au monde.
Barthélemy Racine revient à Paris (avec Kitsidao) et c’est là que Cézanne vient le consulter. Au fur et à mesure des soins de son uvéite, un dialogue s’instaure, une sorte d’amitié. Ils s’aperçoivent qu’ils cherchent la même chose, le premier regard sur le monde, « cet inespéré qui chaque fois surgissant semble être là depuis toujours, cet éternel présent. »
Le premier rêve du monde est un roman chaleureux qui nous invite à toujours porter un regard neuf sur le monde, à être présent à celui-ci.

Michel Lansade 
(21/03/22)    



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Gallimard

(Février 2022)
Collection Haute Enfance
256 pages - 20 €

Version numérique
14,99 €





Anne Sibran,
née en 1963, est romancière, auteur de livres pour la jeunesse et scénariste de BD.


Bio-bibliographie sur
Wikipédia


Visiter son site :
www.anne-sibran.com




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