Retour à l'accueil du site





Adèle ROSENFELD


Les méduses n’ont pas d’oreilles


Devenir de plus en plus sourde, voilà ce qui arrive à Louise que nous accompagnons jusqu’à sa décision de se faire implanter, une opération qui permet de rétablir une perception des sons et de la parole mais nécessite une rééducation orthophonique.

Adèle Rosenfeld évoque toutes les difficultés rencontrées par les personnes sourdes ainsi que les efforts fournis en permanence pour lire sur les lèvres en complément des mots entendus qui sont déformés ou confondus au fur et à mesure de l’aggravation de la perte auditive. Louise lutte en permanence contre le découragement, la colère, l’angoisse de l’avenir… Par moment, elle sent des êtres étranges autour d’elle, un soldat de la Première Guerre mondiale, un chien, une botaniste. Réalité et reconstruction de la réalité se télescopent.

C’est un parcours compliqué dans un monde où tout le monde doit être performant et efficace rapidement.
Trouver du travail n’est pas facile quand on ne comprend pas le message au moment de l’entretien d’embauche, les relations avec les collègues de travail sont complexes. La notion d’inclusion dans la société n’est pas simple à vivre au quotidien.
J’ai repensé à ce que m’avait dit l’orthophoniste :
« Tu t'es construite en entendante, mais tu partages les difficultés des sourds. Personne ne peut reconnaître tout ça, tu es dans une marge invisible.
— Je voudrais en rencontrer. »
Depuis, j'attendais qu'il me mette en relation avec d'autres malentendants.
Quand j'ai raconté ça à Anna, elle m'a demandé : « Qu'est-ce que tu cherches ?
— Une partie de moi. »

Les relations amoureuses peuvent être ambiguës. Accepter d’être aidée n’est pas facile.

Perdre l’audition est inadmissible mais être implantée n’est-ce pas perdre son identité ?
De plus, des rivalités existent encore entre des personnes sourdes qui signent et des personnes sourdes qui parlent :
« Sans mon appareil, j'entends comme toi », lui ai-je dit en signant comme je pouvais.
« Peut-être, m'a-t-il répondu, mais tu es entendante, tu as fait l'école pour entendants. Moi je suis sourd, je signe depuis l'enfance, on ne sera jamais pareils. »
« J’étais à ses yeux une renégate. »

La quête d’identité interroge Louise et ce roman passionnant permet d’expliciter le cheminement d’une personne confrontée au fait d’entendre encore mais de ne pas tout entendre et surtout de ne pas pouvoir tout comprendre quand les manques et les confusions de sons brouillent les paroles.
Quand il me disait : « Tu aimes les glaucomes frais ? »
Et que je lui disais : « Quoi ? »
Et lui : « Tu aimes les faucones, très ? »
Et que je répétais : « Quoi ? »
Et lui : « Tu aimes les dragones glauques et les prés ? », savait-il alors que je regrettais de ne pas avoir une ceinture d'explosifs parce que j'avais très, très envie de me faire sauter sous ses yeux ? »

Brigitte Aubonnet 
(26/01/22)    



Retour
Sommaire
Lectures







Adèle  ROSENFELD, Les méduses n’ont pas d’oreilles
Grasset

(Janvier 2022)
240 pages - 19 €

Version numérique
13,99 €











Adèle Rosenfeld
est née en 1986.
Les méduses
n’ont pas d’oreilles

est son premier roman.