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Mikaël HIRSCH

Le syndrome du golem

Il s’agit ici d’un roman puzzle ou d’un jeu de piste fait de quatre parties dont on ne voit pas le lien de prime abord. Mais patience, l’auteur nous en donnera les clés avant la fin. Laissez vous prendre par le style de Mikaël Hirsch si agréable, plein d’aphorismes, et de formules désopilantes.

La première partie débute avec l’arrivée d’Arnaud Vogel dans un pensionnat suisse réservé à des jeunes gens ayant appris l’espéranto comme langue maternelle, des « denaskuloj ».  Ses parents vivent dans la hantise d’une invasion soviétique suite à l’élection de François Mitterrand en 1981 et ils placent Arnaud en Suisse, comme ils placent leurs lingots d’or dans les banques. « Le fils serait mis à l’abri aussi bien que les économies. » Pour les trop jeunes lecteurs qui n’ont pas connu cette époque, cette référence historique n’est pas inventée par l’auteur mais bien réelle.
L’espéranto est une langue inventée par le polonais Ludwik Zamenhof qui caressait l’utopie qu’une langue universelle permettrait la paix et la fraternité entre les peuples. (Encore aujourd’hui, quelques centaines de personnes parlent, écrivent et communiquent en espéranto à travers le monde.)
Arnaud et ses jeunes camarades se trouvent reclus dans une vallée inatteignable sauf par un tunnel caché, seulement relié au monde par un hélicoptère amenant la nourriture. Ils sont bercés par le mythe espérantiste mêlé au folklore alpin. Ils pratiquent beaucoup de sport et de marche en montagne réalisant le rêve d’un « esprit sain dans un corps sain ».
 
« Loin des partis politiques ou des professions de foi, ignorant les disparités culturelles de toutes sortes, on forgeait dans ces montagnes le véritable homme nouveau, celui qui empêcherait le conflit à venir, ou y survivrait le cas échéant, et repeuplerait la Terre. »

Mais de façon paradoxale, si l’ambition de la langue avait été de transcender les nationalismes, le regroupement de cette minorité sur un territoire engendrait un sentiment d’appartenance.
« On pensait fuir la discrimination et le rejet en se réunissant par affinités et, en réalité, on nourrissait sans le savoir un nouveau patriotisme. »

Immanquablement, les jeunes recréent une société avec sa hiérarchie, ses jalousies, ses clans.
Lorsque les adultes, partis en hélicoptère pour une démarche à l’extérieur, ne reviennent pas, les enfants sont persuadés qu’ils sont les derniers survivants d’une guerre nucléaire ayant détruit toute l’Europe. Ils s’organisent alors pour survivre, tels les enfants de « Sa majesté les mouches » de William Golding. Quand les vivres viennent à manquer, ils tentent de s’échapper par la montagne mais l’invraisemblable surprend les enfants comme les lecteurs.

La deuxième partie retrace la vie de l’espérantiste Peter Ginz, jeune Pragois auteur de six romans, qui se réfugie dans l’imaginaire pour fuir la réalité nazie qui va le rattraper puisqu’il mourra à Auschwitz. L’établissement suisse qui accueille les jeunes porte son nom « Peter-Ginz »

La troisième partie relate l’expédition de deux géologues suisses en 1936 qui partent découvrir les montagnes himalayennes au Népal et au Tibet, transgressant l’interdiction des autorités anglaises. Ils en ramènent une bête proche du yéti de Tintin.

La quatrième partie revient vers Arnaud Vogel qu’on retrouve cette fois à l’âge adulte, victime du syndrome du golem, une invention de son psychiatre pour qualifier une forme de culpabilité qui prend la forme de la pensée magique de l’enfance qui n’a pas quitté Arnaud.  Certains éclaircissements nous seront donnés dans cette dernière partie.

Ce roman aborde de façon originale, drôle et profonde, des réflexions multiples. Sur la langue que nous parlons, et qui, sans que l’on s’en aperçoive, forge notre vision du monde. Le français est jugé par Arnaud comme « l’expression même de l’ambiguïté, l’incarnation du faux-fuyant, avec ses irrégularités innombrables et ses exceptions prédominantes, comme si la transgression de la règle était inscrite depuis toujours dans cette culture qu’il avait acquise sans qu’elle soit vraiment la sienne. On ne pouvait pleinement faire confiance à cette langue de cours ni à ceux qui la pratiquaient, car elle avait forgé une vision du monde fondée sur l’allusion et la polysémie. »
 En cherchant à créer une langue universelle, les espérantistes ne sont-ils pas châtiés comme les architectes de la tour de Babel ?

On retrouve dans ce roman les thèmes chers à Mikaël Hirsch ; la tentation de s’enfermer pour se protéger, ces ghettos privés volontaires qui se multiplient. Sur une disneylandisation du monde, on crée un univers artificiel séparé du monde vrai. Des clins d’œil multiples au cinéma avec King Kong, ou Frankenstein qui revisite le mythe du golem.
Un roman où la vérité historique prend des allures de farce pour le bonheur et la curiosité du lecteur.

Nadine Dutier 
(14/03/22)    



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Mikaël HIRSCH, Le syndrome du golem
Le Dilettante

(Janvier 2022)
224 pages - 20 €













Mikaël Hirsch

Bio-bibliographie
sur le site de l'auteur :
www.mikaelhirsch.fr











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