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José FALERO

Supermarché

José Falero a vécu dans les favelas de Porto Alegre, capitale gaúcha de l’Etat Rio Grande do Sul au Brésil. La misère, les ruelles à l’asphalte crevassé, les maisons qui tiennent à peine debout, le désespoir des habitants, il y a vécu, il les connaît de l’intérieur. Mais il ne sombre pas dans le misérabilisme, il est enjoué et drôle.
Ses personnages sont terriblement humains et attachants, même quand ils commettent le pire.
Pedro a hérité de ses ancêtres la pauvreté des travailleurs honnêtes, dont « l’erreur avait été peut-être de trop respecter la loi. » Il en a assez de sa « vie de merde », il veut devenir riche « pour goûter aux trucs qui font que la vie en vaut la peine. »
Rayonniste dans un supermarché loin de son quartier, il est mal payé, n’a aucun avenir, il sait qu’il doit tenter sa chance maintenant.

Marques n’est pas mieux loti : le plancher de sa maison menace de céder à tout moment, sa femme Angelica attend un deuxième enfant alors qu’ils ont à peine assez pour vêtir le premier. Marques est le collègue de Pedro, rayonniste comme lui, ils bavardent tout en regarnissant les rayons. Pedro a beaucoup lu et beaucoup réfléchi à sa condition d’ouvrier, à l’injustice liée au capitalisme, aux écarts de salaire de dingue. Contrairement à Marques qui est plus naïf, qui aspire bien sûr à une vie meilleure mais ne pointe pas l’injustice du système. Pedro lui explique que les patrons pratiquent le « vol légal » sous l’appellation « d’entrepreneuriat ». Il ne se sent pas coupable de bouffer des bonbons piqués au magasin car ils ont été achetés grâce à leur travail. Pedro explique de façon imagée et concrète les principes marxistes de l’économie : les profits, l’exploitation. Marques l’écoute attentivement et l’admire.
« Marques voyait chaque fois sa propre révolte intérieure fabuleusement traduite et justifiée par l’éloquence de ce collègue ; à l’écouter parler, il sentait que ses propres angoisses de pouilleux, après tout, avaient une vraie raison d’être.»
Son sentiment de culpabilité et d’auto dépréciation s’estompait.

Les deux amis décident de vendre de la marijuana dans les favelas car l’herbe est devenue rare dans ces quartiers, supplantée par des drogues plus dures et plus rentables. Et les bandes qui dealent la poudre ou les cailloux ne se sentiront pas concurrencées.  Comment réunir la somme initiale pour acheter les premiers kilos, avec qui s’associer pour vendre en toute confiance, où trouver la weed, rester discret ? C’est Pedro, le roi de la logistique dont la désinvolture et le sang-froid font merveille qui va tout planifier et organiser. La chance sera de leur côté jusqu’à ce qu’une nouvelle bande ultra violente s’installe dans le quartier.

La fin du roman, riche en actions et rebondissements, nous tient en haleine.
Quand la tragédie s’invite, l’auteur trouve les mots justes.
« Il est difficile de parler quand l’âme fait autant de bruit : on a juste envie de l’écouter. Mais le robinet de la cuisine continuait à fuir goutte à goutte sur l’inox de l’évier, comme s’il voulait rivaliser avec l'horloge murale du séjour, qui jamais n’interrompait son scandaleux tic-tac ; dans la rue, le vent continuait à souffler, et les chiens à aboyer. En dépit de tout, tout, tout ce qui s’était passé cette nuit-là, le monde, pour une raison quelconque, refusait de s'arrêter ; il refusait même de cesser de palpiter ne serait-ce qu’un instant. […] indifférent à toutes les tragédies humaines, de tous les temps et de toutes les nations, le monde s’entêtait à persister dans son existence, s’entêtait à continuer de palpiter comme si de rien n’était. »

La lecture de ce roman nous ouvre des univers peu ou mal connus, caricaturés par des films à sensation. Mais dans ces quartiers où la misère est endémique, pour en sortir, l’illégal devient légitime. La personnalité de Pedro est un joyau, une perle rare, un homme qui peut arrêter les guerres entre bandes rivales par sa présence d’esprit et son calme, qui peut se sortir des pires situations. Une belle leçon de diplomatie et d’intelligence. On  comprend aussi que la solidarité n’est pas un vain mot mais peut aller jusqu’au sacrifice ultime.

Nadine Dutier 
(08/09/22)    



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Lectures








Métailié

(Août 2022)
326 pages - 21 €

Version numérique
9,99 €



Traduit du brésilien par Hubert Tézenas








José Falero,
né à Porto Alegre en 1987, a vécu dans une favela
et travaillé dans un supermarché comme
ses personnages.