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Grégoire BOUILLIER

Le cœur ne cède pas



Ce n’est plus un scoop tant tout le monde le dit : le dernier livre de Grégoire Bouillier est un chef-d’œuvre. Un monument. Une bible pour qui s’intéresse à la biographie et l’autobiographie, deux genres que l’auteur sait si bien mêler. Et il a raison. Car n’est-il pas vrai que toute biographie dépend de son ou sa biographe ? De son angle d’attaque ? De son désir ou de ses fantasmes ? De la part de lui-même qui se joue dans le choix de son objet d’étude ? Puisque oui, Grégoire Bouillier a définitivement raison : sans autobiographie, pas de (réelle) biographie.
Ici, c’est la vie de Marcelle Pichon que l’auteur reconstitue. À force de recherches aussi bien généalogiques que sociologiques, astrologiques, graphologiques, historiques et autres champs riches de découvertes insolites, il parvient à nous mettre dans les pas de cette femme devenue publique par sa mort.
Une mort par inanition.
Le terme paraît barbare et l’acte ne l’est pas moins. Marcelle Pichon (Marcelle pour les intimes de ce livre) s’est laissée mourir de faim. Le corps a cédé au bout de quarante-cinq jours au cours desquels elle a consigné au quotidien son agonie, mais il a fallu dix mois avant que son corps ne soit retrouvé. En 1985, l’affaire avait fait scandale. Comment ? Comment hurlaient toutes les presses de France était-il possible que personne ne se soit rendu compte de la disparition de cette femme ? On avait crié à l’indifférence généralisée et l’on avait ainsi oublié l’essentiel : pourquoi Marcelle s’était-elle laissée mourir de cette façon-là ?
C’est ce que Grégoire Bouillier cherche à comprendre. Ce faisant, il nous fait découvrir tout un pan du monde, non seulement de Marcelle mais de l’histoire comme elle va. En France ou en Irlande, hier ou aujourd’hui, Marcelle ou une autre, tout se répète et concourt à dessiner des trajectoires de vie qui, en partie, nous échappent. Nous reste notre mort. Elle, certains peuvent la choisir et c’est ce qu’a fait Marcelle. Elle l’a fait pour une raison que Grégoire Bouillier parvient à élucider dans des pages de fin qui sont royales. Intelligentes, sensibles et pudiques, elles nous montrent le biographe subjectif dans tout son talent d’écrivain. Et elles annoncent peut-être, qui sait ?, son prochain livre…
Dans celui-ci, contrairement à ce que le sujet pourrait laisser croire, on s’amuse. Il faut dire qu’on le fait toujours avec Grégoire Bouillier. Pince-sans-rire et provocateur, il l’est. Ici, c’est par un dispositif de dialogues à la Bouvard et Pécuchet qu’il crée le comique nécessaire à son récit. Mais il a bien d’autres cordes littéraires à son actif. Des interpellations cocasses et régulières aux lecteurs. Des clins d’œil, des jeux de pistes à propos de ses sources. Si on le souhaite, on peut même poursuivre l’aventure en cliquant sur un site indiqué dans l’ouvrage, le site de la Bmore et investigations s’il vous plaît ! 
Car Grégoire Bouillier est devenu détective le temps de ce livre. Et encore une fois, il a raison : un biographe n’est-il pas un détective ? Un écrivain n’est-il pas un détective ? Un enquêteur de l’humanité ? En tout cas, Grégoire Bouillier est de cette trempe, et on ne le remerciera jamais assez pour cela.

Isabelle Rossignol 
(26/09/22)    



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Lectures







Grégoire BOUILLIER, Le cœur ne cède pas
Flammarion

(Août 2022)
912 pages - 26 €

Version numérique
17,99 €






Grégoire Bouillier,
né en 1960, auteur de plusieurs livres, a obtenu le Prix de Flore 2002 et le Prix Décembre 2017.


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