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Natasha TRETHEWEY


Memorial Drive


Le 5 juin 1985, Gwendolyn Ann Turnbough, épouse Grimmette, est tuée d'un coup de fusil par son ancien mari Joel, un vétéran de la guerre du Vietnam qu’elle venait de quitter pour cause de violences conjugales. Sa fille Tasha a alors 19 ans.

Trente ans plus tard, Natasha Trethewey, devenue écrivaine et poétesse, tente de comprendre l’histoire de sa mère et de se réapproprier la sienne en se penchant sur ce passé qu'elle a longtemps occulté.

Pour retracer l’itinéraire de sa mère, née à La Nouvelle-Orléans en juin 1944, il faut se replonger dans une Amérique où les lois Jim Crow sont encore appliquées, où les lynchages de Noirs sont fréquents et où le Ku Klux Klan brûle des croix devant les maisons des « gens de couleur ». C’est dans cette Amérique-là que Gwendolyn rencontre, dans un cours sur le théâtre moderne, un étudiant blanc. Le jeune couple se marie à Cincinnati avant de rentrer au Mississipi, où les mariages interraciaux sont encore interdits comme dans vingt autres états. C’est là que leur fille, Natasha, naîtra.

C’est cette femme forte et accomplie, cette mère aimante, que l’autrice s’attache à retrouver aujourd’hui, et avec elle sa jeunesse heureuse envolée. Pour ce faire, elle qui n’a pas souhaité garder les nombreux vinyles de sa mère, emprunte au pouvoir évocateur de la musique en égrenant les titres qui constituent la bande-son des moments passés à ses côtés : Just My Imagination des Temptations, The Bird de Morris Day and The Time, Dancing Machine des Jackson Five font apparaître l’image d’une Gwendolyn souriante, courageuse et heureuse de vivre.

Mais quand, en 1973, la route de sa mère croise celle de Joel, homme alcoolique et violent, la vie bascule : « Pendant longtemps j’ai oublié autant que possible ce qui s’était passé pendant ces douze années, entre 1973 et 1985. » C’est contre cet oubli que lutte aujourd’hui Natasha en écrivant ce livre, en laissant venir à elle des réminiscences d’événements de cette période, rassemblées dans le chapitre « Tu sais » placé au cœur de l’ouvrage.

Pour aller au bout de ce parcours de mémoire, de ce travail de deuil, il faut cependant rallier Memorial Drive où Gwendolyn a été retrouvée une balle dans la tête, abandonnée à la folie de son ex-mari par des autorités laxistes (le policier qui devait surveiller son appartement a quitté son poste sans raison). Natasha Trethewey affronte la part la plus sombre de l’histoire en donnant la transcription exacte des dernières conversations téléphoniques entre celui qu’elle appelait Big Joe et sa mère, quelques jours avant le meurtre. Dans ces pages glaçantes se lit toute la folie d’un homme que l’autrice expose, enfin, au grand jour.

C’est donc de cet enfer que Natasha, par le pouvoir de la langue et en affrontant son passé, ramène sa mère. Sculptant une matière composite (récit de rêve, déposition, carnet intime de Gwendolyn…), elle offre un texte lumineux autour la mort de sa mère, autour aussi de la naissance de sa vocation d’écrivaine : « La mort même de ma mère est rachetée dans l’histoire de ma vocation, lui donne un sens au lieu d’en faire quelque chose d’insensé. C’est l’histoire que je me raconte pour survivre. » Et de fait, dans Memorial Drive, Natasha Trethewey montre avec talent comment l’écriture peut honorer une « blessure qui ne guérit jamais ».

Amandine Farges 
(31/08/21)    



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Natasha TRETHEWEY, Memorial Drive
L'Olivier

(Août 2021)
224 pages - 21,50 €

Traduit de l’anglais
(États-Unis)
par Céline Leroy








Natasha Trethewey,
né en 1966 dans le Mississippi, écrivaine et professeure d’université,
a été lauréate du prix Pulitzer de poésie.


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