Retour à l'accueil du site





Corinne ROYER

Pleine terre



Il y a des livres qui vous transmettent la rage. La rage de plus de justice, le rêve de plus d’intelligence et la haine des règlements et des administrations. Pleine terre est de ceux-là. Ce livre rend hommage à tous les paysans et tous les éleveurs qui aiment leurs bêtes, respectent la nature et ont le courage de refuser le diktat de certains contrôles sanitaires.
C’est le récit de la vie de Jacques Bonhomme, paysan éleveur en pays charolais qui a eu le malheur de choisir des vaches limousines – plus résistantes que les charolaises – mais qui font tache dans le paysage… C’est un homme qui aime la terre, qui aime les bêtes de son troupeau et qui leur aménage un mode de vie paisible, dans de vastes étendues de terres. C’est aussi un homme qui aime la littérature. Il puise dans les livres des leçons de sagesse. C’est un voisin généreux et aimé.

Quel grain de sable a enrayé cette belle harmonie ? Un premier contrôle de la DDPP (direction départementale de la protection des populations) note que les dernières naissances de veaux n’ont pas été déclarées. La DDPP exige des tests génétiques pour prouver la filiation. Ces tests étant très onéreux, Jacques refuse. Ces naissances étant jugées suspectes, on lui bloque une partie du troupeau qu’il ne peut plus vendre. « S’il ne réalisait pas les tests demandés, ses bêtes allaient être éliminées, les gens de la DDPP ne s’étaient pas gênés pour le lui dire, ses limousines seraient abattues sur décision administrative. Au nom de la traçabilité, on lui reprochait des vaches non identifiées. Dans un même temps, certains supermarchés vantaient les productions locales au rayon boucherie alors que la viande fraîche venait d’Irlande et la viande surgelée d’un pays trop lointain pour que je m’en souvienne.  On peut pas dire qu’elle trace bien droit la traçabilité ! On peut pas dire non plus qu’il tourne bien rond le monde ! »
Les bêtes sont confinées à l’étable et se blessent. Les papiers sont confisqués pour manque de suivi vétérinaire. Sans papiers on ne peut plus rien vendre. La sécheresse aggrave la situation et sans argent pas de fourrage. Jacques est acculé à la faillite et ses bêtes à la mort.
Cet acharnement de l’administration « n’est pas un vice de procédure, c’est une pratique habituelle que l’administration s’autorise, au mépris de la loi, pour arriver à ses fins. »
Pendant trois ans, Jacques subit un harcèlement administratif de plus en plus féroce.  Cela se termine par une traque de neuf jours, les gendarmes voulant interner Jacques qui a la folie de résister.
Telle une tragédie grecque, les témoignages des voisins, sœurs et amis viennent en polyphonie raconter l’histoire de Jacques, son enfance, ses amours, ses amitiés. Ses deux meilleurs amis et voisins se sont suicidés ou ont tenté de le faire en gardant de terribles séquelles. (En France, un agriculteur se suicide chaque jour de l’année.)
Un de ses voisins a tenu tête à l’administration et a gagné son procès contre elle. Sa ferme était « une insulte au volontarisme d’État qui consiste à éradiquer la paysannerie et tout ce qu’elle porte d’autonomie et de liberté. »
À la fin du roman on découvre que le texte est inspiré d’une histoire vraie et c’est encore plus poignant.
L’écriture de Corinne Royer est à la hauteur de ce drame : tantôt tendre et poétique, tantôt torturée et déchirée, vaste comme le paysage et comme l’humanité des personnages. Elle sait dire les tourments du corps et leur exultation, l’hallucination par la faim pendant la cavale, elle sait dire le chagrin d’une mère qui assèche son cœur.
Mais tout sonne juste car l’auteure a écouté et a compris la parole « de toutes celles et ceux qui vivent leur destinée au plus près de la terre, pour le meilleur et pour le pire. »

Nadine Dutier 
(18/08/21)    



Retour
Sommaire
Lectures








Actes Sud

(Août 2021)
336 pages - 21 €

Version numérique
14,99 €







Corinne Royer
Pleine terre est
son cinquième roman.

Bio-bibliographie sur
le site de l'éditeur





Retrouver sur notre site
le précédent roman de
Corinne Royer :


Ce qui nous revient