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Jocelyne ROTILY


La vie de Nathan Polonsky


Cette « fresque romanesque » nous renseigne sur les courants artistiques en présence dans les années 1930 à 1950 aux États-Unis, sur leurs relations avec la vie sociale et politique du pays et sur la folie anti communiste des années Mac Carthy. Ces thèmes sont parfaitement renseignés puisque l’auteure est spécialiste de l’histoire de l’art.
Elle a choisi pour narrateur et héros du roman un peintre juif d’origine modeste : Nathan Polonsky. D’une façon très naturelle, Nathan s’inspire des personnages de son quartier pour montrer sur ses tableaux l’Amérique pauvre. Il rejoint le courant « socio-réaliste » qui connaît son apogée dans les années 1930 et montre les gens ordinaires plutôt que les privilégiés du système. Ce courant est encouragé par la politique du New Deal de Roosevelt ce qui permet au jeune peintre d’exposer ses toiles dans les musées. Avec ses amis de gauche il s’engage pour l’Espagne républicaine. Pendant la guerre, il combat en Europe contre les nazis. En 1946, il pourra croquer sur le vif, le procès des protagonistes de l’émeute raciale de Columbia. A son origine, une altercation entre un employé de commerce et un vétéran noir de la seconde guerre. L’homme noir est injustement condamné puis relaxé mais des Blancs veulent le lyncher. Les Noirs préparent leur défense. La police intervient, saccage magasins et habitations du quartier noir, arrête une centaine de Noirs, tue deux prisonniers. Trois avocats, dont un Noir, parviennent à faire acquitter vingt trois accusés sur vingt cinq.
« Il leur en avait fallu, du temps et de la combativité, pour accomplir ce miracle, mais ils y étaient parvenus, avec un brio qui avait rendu l’accusation folle de rage : des avocats « nègres » qui gagnaient leur procès, c’était insoutenable. »
Dans les années 1950, Nathan manifeste contre la guerre de Corée.
Pour compléter les faibles revenus que lui apporte son art, Nathan devient professeur d’arts plastiques dans un collège et découvre la joie d’enseigner.
La description que l’auteure fait des années Mac Carthy est assez saisissante : le FBI surveille les citoyens « suspects » par écoute ou microphones dissimulés, les innombrables comparutions devant la justice, les listes noires ;« il ne se passait pas une semaine sans qu’on entende parler de procès sur les ondes, à la télévision ou dans les journaux. On aurait dit que le pays était en proie à une épidémie de procès. »
Les artistes réalistes et figuratifs sont mis à l’écart pour des raisons politiques mais aussi en raison de l’ascension de l’art abstrait. « Ce nouvel art que beaucoup de critiques américains et européens regardaient avec émerveillement […] parce qu’il incarnait les sacro-saintes valeurs individualistes propres à notre nation. » Selon Nathan et probablement selon l’auteure, l’art abstrait est « l’incarnation d’une idéologie libérale agressive.  Un art qui, par son excès d’individualisme, avait tué la rébellion sociale, l’esprit même de la révolution. Un art qui était l’expression de la "chute de notre époque." Inconsciemment ou pas, cet art-là avait capitulé face au maccarthysme. »
Cette analyse originale de l’art abstrait américain est un apport à une réflexion nouvelle.
Un des grands moments du roman est le procès intenté à Nathan par le HUAC (comité parlementaire sur les activités anti-américaines), « la grande lessiveuse règle ses comptes avec tout ce qui incarne de près ou de loin la politique du New Deal défendue par Roosevelt dont le socio-réalisme. » Nathan découvre que tous ses faits et gestes depuis les années 1930, toute sa vie est connue du FBI et réinterprétée au prisme de la folie anti-communiste. Les juges lui demandent de donner des noms en échange de leur clémence. Mais Nathan retourne l’accusation, à la manière d’un Citizen Kane.

« Je ne répondrai plus, parce que je refuse d’aller plus loin dans cette parodie de justice. Parfaitement : une parodie de justice, dont l’unique volonté est de régler ses comptes avec la politique du gouvernement Roosevelt. Mais on n’efface pas ce qui est inscrit déjà dans l’histoire : oui le WPA* était une excellente mesure ! Oui, il faut soutenir sans répit les artistes, leur garantir la liberté d’expression. Aujourd’hui plus qu’hier. »
Un autre artiste est présenté dans ce roman, un admirateur de Soutine et ami de Nathan. Son talent est certain mais il souffre de délire paranoïaque et voit des ennemis partout. Le tableau clinique est parfaitement mis en scène. S’agirait-il d’une métaphore de la folie de Mac Carthy ? Les intrigues amoureuses ne m’ont pas convaincue mais cela n’enlève rien à l’apport historique de ce roman.

Nadine Dutier 
(26/07/21)    

* Agence fédérale d’aide aux artistes du New Deal



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Jocelyne ROTILY, La  vie de Nathan Polonsky
Le Passeur

(Mai 2021)
496 pages - 21,90 €

Version numérique
9,99 €


Le destin d'un artiste brisé par le maccarthysme. Une fresque romanesque inspirée d'une histoire vraie.






Jocelyne Rotily,
née à Marseille, historienne de l’art, a enseigné à l’Université de Provence, à Harvard University. Elle est l’auteure d’essais et d’articles traitant entre autres de l'histoire des relations culturelles France-États-Unis, des arts américains et afro-américains au xxe siècle. Elle écrit aussi des thirllers sont le nom de Jo Litroy.

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