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Raphaëlle RIOL


Le continent



Comment se remettre d’un burn-out ? Comment échapper à un univers professionnel dévasté par un nouveau directeur qui remet en cause tout le travail accompli avant son arrivée et méprise le personnel ?
Après bien des souffrances et beaucoup d’humiliations, Ines choisit une solution radicale.

Aux premières pages du roman, elle est sur une île qui n’est pas nommée mais ressemble à la Corse comme deux gouttes de Patrimonio par son relief, ses traditions et l’atmosphère de ses villages isolés. Pour commencer, Ines s’est installée dans une résidence en bord de mer. « J’étais en plein naufrage. Et comme dans la plupart des récits de naufrage, j’avais échoué sur une île. »

Bribe par bribe, nous comprenons au fil du roman qu’elle travaillait avec passion dans la bibliothèque d’un centre culturel.
« Il y avait eu un temps où nos projets avaient été ambitieux. Nous avions une devise : "Tous les chemins vous mèneront ici". On se démenait avec l'idée qu'on révolutionnerait la vie du quartier, qu'on la rendrait meilleure. Julie programmait des semaines thématiques au cinéma, j'invitais des auteurs à la bibliothèque, on animait des ateliers d'écriture, d'architecture. Pablo proposait des ateliers marionnettes, les gamins en fabriquaient puis écrivaient les textes de leur spectacle qui se donnait dans les jardins partagés. C'était joyeux, bouillonnant, inventif. »
Et Monsieur B. est arrivé, avec son nœud papillon, sa suffisance, son incompétence, son mépris pour la culture et son programme d’économie budgétaire. Il a fermé une salle de cinéma (remplacée par des tablettes numériques), supprimé les visites dans les musées, les rencontres avec des écrivains et les animations littéraires, réduit les crédits d’achats de livres et de revues. Table rase du passé, il fallait « restructurer », « réinventer » et moins dépenser…

De semaine en semaine, tout s’écroulait. Ines a tenté de résister mais, face à la soumission de la majorité des collègues et à l’effet bulldozer du directeur détruisant tout sur son passage, transformant leur difficile et fragile construction culturelle en champ de ruines, elle a fini par craquer. Monsieur B. s’en est bien sorti avec seulement les pneus de sa voiture crevés et Ines s’est retrouvée en congé maladie.
« "Burn-out", ligne blanche franchie, "besoin impératif de se mettre au vert", avait-on écrit à mon propos sur une feuille d'arrêt maladie. "L'intéressée pourra sortir du département", y avait-on ajouté. Je m'étais mise au bleu. Ça me seyait mieux. »

Et la voilà sur cette île où elle passait ses vacances avec ses parents, où vit encore Lili, l’amie d’adolescence, maintenant mariée et mère de deux enfants. Après une période de repli sur elle-même, d’isolement complet, Inès reprend peu à peu un fragile contact avec le monde extérieur, la mer, le sable, les balades sur la plage, la lecture…
Elle parvient même à téléphoner à Lili qui habite un village, « là-haut », dans la montagne.
Une histoire de chats qu’elle nourrit dans la résidence et qui se termine en conflit avec des voisins la convainc d’accepter de monter « là-haut » pour retrouver Lili et s’installer dans une petite maison inoccupée.

Les relations n’étant plus au beau fixe entre Lili et son mari, Jean-Do, l’arrivée d’Inès devient l’attraction du petit village où tout se sait, où l’espionnage et les querelles ancestrales occupent le temps de ceux qui n’ont rien d’autre à faire. Une partie complexe s’engage entre Inès, Lilli, Jean-Do et le reste de la famille, un jeu qui va brouiller les cartes plus ou moins engluées jusque-là dans une immobilité forcée, une aventure inattendue pour Inès qui va peu à peu échapper à sa sidération et renouer avec un ancien rêve…
Raphaëlle Riol construit pour ce roman un très beau personnage de femme, plus forte et résiliente qu’il n’y paraît au début. Bien que confrontée à l’anéantissement de tous les efforts fournis depuis des années, à la destruction des résultats obtenus, à la négation de ses compétences, au mépris pour sa résistance et sa révolte, aux humiliations quotidiennes, Inès ne sombre pas totalement. Elle plie mais ne rompt pas et les chemins, aussi escarpés qu’inattendus, qu’emprunte sa remontée des enfers maintiennent l’intérêt du lecteur jusqu’à la dernière page.
L’autrice a le sens de la formule et son écriture est toujours vive, imagée, passionnée. On sourit quand Inès considère qu’un collègue soumis au nouveau directeur « avait été promu du rang de crétin content à celui de sbire fidèle ». Parfois on s’indigne, parfois on s’arrête un instant pour apprécier certaines phrases. « Les écrivains sont au monde pour fleurir les bords des gouffres. » Et on se laisse reprendre par le rythme du récit qui nous entraîne inexorablement.
Le continent est le cinquième roman de Raphaëlle Riol, nous continuerons à suivre son parcours avec beaucoup de plaisir et d’intérêt.

Serge Cabrol 
(31/03/21)    



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Raphaëlle RIOL, Le continent
Rouergue

(Mars 2021)
240 pages - 19,50 €

Version numérique
14,99 €











Raphaëlle Riol,
née en 1980, est une « romancière de la révolte ». Le continent est son cinquième roman
chez le même éditeur.

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