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Delia OWENS


Là où chantent les écrevisses


Voilà une lecture revigorante pour ces temps moroses…
Nous sommes en Caroline du Nord dans les années 1950. Entre la terre et l’océan, dans une zone qui grouille de vie qu’on appelle le marais, vit la petite Kya qui n’a que six ans quand Ma (sa mère) quitte leur cabane pour fuir les coups de Pa. Ses sœurs et frères plus âgés sont déjà partis et bientôt son frère Jodie la laisse seule avec Pa qui disparaîtra à son tour.
Après une journée passée à l’école, elle s’échappe pour ne pas subir les sarcasmes des enfants, à l’image du rejet des adultes à son égard. On l’appelle « la fille des marais », on se moque de ses vêtements en loques, de ses pieds nus, de ses manières inciviles.
Telle une enfant sauvage, elle va apprendre à survivre dans le marais grâce à la pêche et à la bienveillance du vieux Jumping de la communauté noire. Dans les années 1950 la ségrégation bat son plein dans cet état du Sud. Il y a l’école des Noirs, les églises des Noirs, et la colored town. C’est parmi eux que Kya trouve ses seuls amis. Les violences racistes semblent banales.

La rencontre décisive de sa vie sera Tate, fils de pêcheur, qui lui apprend à lire et à écrire, lui fournit des pinceaux et de la peinture et encourage ses talents de naturaliste.
Le récit de cette rencontre est un des passages les plus poétiques du roman. Kya découvre sur une vieille souche, au milieu d’une clairière, une plume d’oiseau du marais, puis une autre, chaque jour différente. D’abord une fine plume noire, « le "sourcil" d’un grand héron bleu. Cette plume qui forme un arc gracieux au-dessus de l’œil, et pointe vers l’arrière, au-delà de sa tête si élégante. L’un des trésors les plus précieux des marais côtiers, là sous ses yeux. [...] Elle était lustrée. On aurait dit du velours. » Le lendemain elle découvre « une fine plume blanche fichée dans la souche. Elle allait du bout de ses doigts à son coude et s’incurvait avec grâce jusqu’à son extrémité pointue. Une magnifique plume de queue d’un phaéton. [...]  Kya fut très surprise que quelqu’un possède une telle collection de plumes rares et qu’il puisse se défaire de celles-ci. » Pourquoi ? À son tour elle laisse sur la souche la plume d’un jeune aigle. En retour, elle trouve la plume douce et argentée de « la crête d’un héron de nuit, un des plus beaux échassiers des marais. » Quand elle revient dans la clairière pour y déposer une plume de cygne siffleur, le garçon aux plumes est là. « C’est Tate qu’elle avait observé durant des années sans jamais trouver le courage de s’approcher ». Elle meurt d’envie de décamper tel un jeune faon effrayé mais le calme et le bon sourire de Tate la rassurent.
Magnifique métaphore de la sexualité tout en délicatesse.

L’apprentissage de la lecture procure de grandes joies à Kya. Désormais elle peut étiqueter ses précieux spécimens de plumes, insectes, coquillages ou fleurs. « Elle regardait comment écrire leur nom dans les livres de Ma, et le recopiait consciencieusement à côté de son dessin sur du papier marron. »
Pendant des années, la solitude était devenue une partie de Kya. Désormais, quand Tate est absent trop longtemps elle souffre d’être seule, sans amis. Les études universitaires vont éloigner Tate plusieurs années et Kya va céder aux avances de Chase Andrews.

Le roman s’ouvre sur la découverte du corps de Chase Andrews, tombé au pied de la vieille tour de guet. L’enquête sur sa mort mystérieuse va jalonner le roman comme la machine infernale d’un compte à rebours dont l’aboutissement sera tragique. Conjointement, l’auteur nous montre Kya enfant, jeune fille et jeune femme. Des retours en arrière racontent l’histoire de sa famille, les ravages de la guerre, de l’alcool, de la misère. Lorsque le récit de la vie de Kya et celle de l’enquête convergent, la tension est à son comble.
Pour finir sur une note plus optimiste, laissons la parole à Delia Owens qui dit si bien comme le marais peut être une source de réconfort et d’admiration pour Kya et Tate.
« Un léger nuage noir apparut à l'horizon et, tout en se rapprochant, il monta vers le ciel. Les cris augmentèrent en intensité et en volume pendant que le nuage emplissait rapidement le ciel entier jusqu'à ce qu'il ne reste plus une seule zone bleue. Des centaines de milliers d'oies des neiges, battant des ailes et cacardant à tue-tête, envahirent tout l'espace. Des masses en mouvement tournoyèrent et se préparèrent à l'atterrissage. Un demi-million d'ailes blanches se déployèrent à l'unisson, autant de pattes d'un rose orangé s'allongèrent, et un blizzard d'oiseaux rasa la Terre. Une blancheur absolue s'abattit sur toute la planète, proche et lointaine. Une par une, puis dix par dix, et enfin des centaines d'oies se posèrent à quelques mètres de l'endroit où Kya et Tate s'étaient installés sous les fougères géantes. Le ciel se vida au fur et à mesure que la prairie détrempée s'emplissait jusqu'à être entièrement recouverte de flocons de neige. »

Nadine Dutier 
(12/01/21)    



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Lectures








Delia OWENS, Là où chantent les écrevisses
Seuil

(Janvier 2020)
480 pages - 21,50 €

Version numérique
16,99 €


Traduit de l’anglais
(États-Unis) par
Marc Amfreville














Delia Owens,
née en 1949 aux États-Unis, diplômée en zoologie et biologie, a vécu 23 ans en Afrique. Là où chantent les écrevisses est son premier roman.


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