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Le lecteur comprend vite que la petite Alice accrochée à sa poupée et Madame Morin ne font qu’une. Il mettra un peu plus de temps à comprendre les liens qui l’unissent à Betty, la prostituée habituée des bars, et à l’inceste, traumatisme premier, qu’Émile lui a fait subir. Si le climat d’amour et de respect qui lie Alice et Guy est une évidence, la générosité et la bienveillance naïve et aveugle du mari quant à la pathologie de sa femme ne met pas beaucoup de temps à nous apparaître. Cette manière que l’auteure à de nous révéler par petites doses la vie de l’héroïne est diablement efficace pour nous attacher à sa terrible vie et à son trouble dissociatif de la personnalité. Depuis ses quinze ans, Alice est en proie à plusieurs personnalités distinctes qui prennent tour à tour le contrôle de sa vie sans qu’elle en conserve le moindre souvenir. Si en cas de crise, qu’avec l’expérience elle sent venir, la clinique psychiatrique et le Docteur C. qui aime à rappeler qu’il « n’a pas les pouvoirs d’un sorcier vaudou et n’est qu’un modeste praticien de la médecine occidentale », lui permettent de se mettre à l’abri d’elle-même, cela suffira-t-il à la protéger contre elle-même ? Ce thérapeute fasciné qui la suit depuis une vingtaine d’années, partagé entre ses ambitions professionnelles et l’intérêt réel qu’il porte à sa patiente, parviendra-t-il à lui rendre une vie « normale » ? Alice, fillette victime d’une enfance toxique puis femme plurielle troublante et attachante, n’est jamais ici réduite à sa pathologie. Si ce qui l’a précipitée dans un chaos intérieur perturbé et le mécanisme de fugue dissociative (différent de la schizophrénie) qui lui a permis de fuir le réel pour rester en vie est ici détaillé et explique presque cliniquement la détresse, l’angoisse et la douleur de cette épouse et cette mère, il en ressort néanmoins cette force incroyable que la confiance et l’amour absolu que son époux et ses enfants lui portent, donne à cette survivante pour se tenir debout. Le lecteur, par une vertigineuse mise en abyme de ce trouble dissociatif, se retrouve plongé dans les profondeurs de la folie humaine aux côtés du médecin et du mari qui tentent de pénétrer le labyrinthe intérieur d’une héroïne éclatée dont le cubisme serait le plus apte à en dresser le portrait fascinant, violent et disharmonieux. En des temps d’obscurantisme religieux, Alice aurait été considérée au mieux comme possédée par le démon, au pire comme sorcière. Aujourd’hui, Alice est une patiente étudiée par le docteur C. qui, à force d’entretiens, a récupéré quelques clés, ravi de ce que ce cas apporte à ses recherches et sa carrière. C’est aussi l’épouse d’un homme amoureux, terrassé par l’histoire, la pathologie et la souffrance de son aimée, par son impuissance à l’aider, aussi, mais incapable de s’envisager sans elle et n’abandonnant jamais l’espoir de voir la famille qu’ils ont construite ensemble panser ses blessures. Alice et les autres est une belle et juste illustration des ravages que produit l’inceste sur une jeune enfant et sur les chemins détournés que des victimes peuvent élaborer à partir de ce désastre pour survivre. Le bourreau et sa complice ici se déclinent au passé et Alice et les autres, au-delà du cas clinique, est aussi une belle ode à la force de l’amour qui, malgré ou à cause de la naïveté et l’extériorité totale de Guy qui ne sait rien de cette histoire, permet, un temps au moins, à la victime de tenter de trouver place comme épouse et mère dans ce monde affectif tourmenté et fragmenté qui est le sien. Les propos de Lou, en toute fin, sont d’un grand respect et d’une grande douceur. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Mercure de France (Aout 2021) 208 pages - 18 €
Bio-bibliographie sur Wikipédia Découvrir sur notre site un roman jeunesse de Vinciane Moeschler : À corps parfait |
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