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Patricia MARTEL


Tant qu’il y aura des vaches

« Un seul être vous manque et tout s’était peuplé de vaches. » Comment dépasser une rupture amoureuse en se focalisant sur un sujet d’étude, les vaches par exemple ? C’est la voie qu’emprunte la narratrice au fil de ce roman vachement original.

L’aventure avec Alexandre s’est terminée sur le dernier message qu’il lui a envoyé : « Il me semble que l'on s'éloigne. Plus rien ne t'anime. Je te trouve de plus en plus lointaine, désespérément fade depuis quelque temps. J'ai longuement réfléchi depuis près d'une demi-heure. Je préférerais qu'on se sépare. » Après six mois de mots d’amour, c’est dur à digérer.

Un mois plus tard, invitée au mariage de sa meilleure amie d’enfance, elle a bu plusieurs verres et, sans bien savoir ce qu’elle faisait, elle a quitté la fête et s’est retrouvée assise dans l’herbe à contempler des vaches. « C'est là, les vaches devant moi et la solitude aidant, que je suis entrée dans une sorte de rêverie métaphysique, que je me suis sentie inspirée, je dirais à la manière d'un Nietzsche – non, je n'ai pas bu tant que ça. Je suis arrivée jusqu'ici en marchant droit : Les hommes vivent et paissent comme des bovidés d'élevage. »

Elle crée autour d’elle un univers peuplé de vaches. Elle découpe celle qui figure sur sa brique de lait pour la conserver en face d’elle et pouvoir lui parler. Elle achète dans un vide-greniers une vingtaine de petites vaches en bois ou en résine qu’elle installe sur son tapis, entourées par une barrière de trente-deux pots de yaourts vides. Tout est prêt pour se focaliser sur sa recherche.
« Le lendemain, dès l'aube, à l'heure où tous les bovidés de la terre vont se faire traire, je m'attelle à ma mission. On nous prend pour un troupeau de bétail, et j'ai décidé de le prouver scientifiquement. »
 
Surfant à corps perdu sur internet, sa passion monomaniaque dévorante la conduit à consulter des masses de documents (dont les références nous sont très sérieusement fournies en bas de pages) sur la production laitière, le bien-être des bovins, la gestion des troupeaux, les techniques d’élevage…
En écoutant les infos à la radio, elle perçoit les mêmes thèmes, les mêmes arguments, les mêmes problématiques que dans les documents sur les bovidés. Elle crée un tableau Excel croisant les données pour le système d’exploitation des humains et celui des bovins. Le taux de corrélation est surprenant. Pour affiner ses items et approfondir sa recherche sur l’exploitation humaine, pas besoin de sortir de chez elle. « Niveau support documentaire c'est basique, j'écoute la radio : les informations matinales, celles de la pause méridienne. J'ai baptisé la mienne : Troupeau FM – je ne connais pas la fréquence, mais branchez-vous sur n'importe laquelle ça fera l'affaire. Ce rendez-vous que j'appréhende désormais avec l'oreille attentive d'une ethnologue, est devenu un rituel sacré, une délectation matinale et surtout une source d'éveil intellectuel inestimable. J'alterne avec Troupeau TV… »

Côté professionnel, elle travaille pour un magazine féminin et doit fournir régulièrement des articles sur les thèmes habituels en l’occurrence la cellulite et l’orgasme féminin. Pour le contenu, ce n’est pas compliqué, en quelques clics elle remanie les articles pondus depuis quinze ans. Par contre l’important, ce sont les titres qui se doivent d’être accrocheurs et pour ces deux thèmes les propositions de la narratrice ne sont pas piquées des hannetons d’autant plus qu’elle a choisi la provocation, lassée d’obéir au rédac’chef et prête à se faire virer.

Beaucoup d’humour, de dérision, d’émotion et de réflexion dans ce roman où le lecteur voit la narratrice s’enfoncer dans sa dépression et sa passion bovine, et se demande jusqu’où tout cela peut encore aller et comment cette étrange histoire se terminera. Nous n’en dirons rien évidemment pour vous laisser le plaisir de le découvrir même s’il ne s’agit pas d’une intrigue à suspense mais d’un roman d’atmosphère (dans la campagne bretonne autour de Montfort-sur Meu), du parcours d’une femme meurtrie par une rupture qui revoit diverses périodes de sa vie depuis son enfance à proximité du Mammouth de Guingamp et se plonge dans une recherche qui l’entraîne toujours plus loin…
Un roman surprenant, une belle découverte et une autrice à suivre…

Serge Cabrol 
(17/11/21)    



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Patricia MARTEL, Tant qu’il y aura des vaches
Jacques Flament

(Novembre 2021)
190 pages - 15 €











patricia Martel,
journaliste et médecin, a publié un premier roman intitulé Burn out
(Atlantica, 2010).