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Caroline LE RHUN


Vagues amères



« Marc les avait vus arriver autour de sa timonerie. Ils volaient à la même vitesse que celle du Nominoë. Il avait souvent vu des dizaines de goélands s'agglutiner derrière les chaluts, à la recherche d'un poisson à dérober, dans une cacophonie générale. Mais des cormorans escortant son bateau sans un cri, dans un silence de mort, il ne l'avait jamais vécu.
Les corbeaux de mer, cous tendus en avant, leurs longues ailes noires déployées, fendaient l'air autour de la timonerie. À la barre, encerclé par cette escorte lugubre, il avait senti son corps se couvrir de frissons. »
D’autant plus que la vieille Anna en avait rajouté une couche :
« – Un jour, ma grand-mère a vu les cormorans encercler un bateau de pêche. Une semaine plus tard, le bateau était perdu en mer. »

Les amateurs d’histoires de marins, de bateaux et de pêche vont être comblés mais ils ne seront pas les seuls parce que le roman est un vrai polar avec crime, enquête et vieux secrets de famille, mais aussi avec un regard acéré sur l’état de la pêche et de la mer aujourd’hui, sur les incohérences de la législation européenne, la pollution des océans et les effets du dérèglement climatique.

Caroline Le Rhun sait à merveille mettre en scène des personnages forts et attachants qu’on suit avec beaucoup de plaisir et d’intérêt de chapitre en chapitre, dont on partage les rêves et les espoirs mais aussi les souffrances et les déceptions quand le sort leur devient moins favorable.

C’est d’abord le cas de Marc car le noir présage de la légende des cormorans s’est une fois encore réalisé et son bateau, le Nominoë, a coulé très vite, si vite que tous les marins ont été noyés sauf Philippe qui tenait la barre et n’a rien vu venir.
« – Je n'ai pas compris. L'étrave du bateau s'est mise à monter vers le ciel. Ma tasse de café est tombée ainsi que tout ce qui était posé devant moi, et le bateau s'est enfoncé dans l'eau par l'arrière. Je n'ai même pas pu attraper la VHF pour lancer un message de détresse. »
Philippe est choqué et Marc est partagé entre le désespoir et la colère. Il n’était pas à bord au moment du naufrage à cause d’un accident de la route qui l’a immobilisé chez lui.
Il s’avère rapidement que la voie d’eau qui a fait couler le Nominoë était criminelle et l’enquête est lancée. Qui et pourquoi ? Qui a pu être suffisamment lâche pour saboter un navire en sachant que des marins allaient mourir ? Et quelles raisons ont pu conduire à un tel crime ? C’est tout l’enjeu du roman et peu à peu plusieurs pistes vont révéler de noirs desseins et de possibles motivations.

Parmi les autres personnages importants, on retrouve Ronan qui, dans le précédent roman de l’autrice, Sombres dérives (Palémon, janvier 2020), avait soutenu son ami irlandais Richard quand sa fille Mary avait été séquestrée sur son voilier pendant des mois. Mary est maintenant la compagne de Ronan. Elle vient d’ouvrir une galerie d’art à Cork tandis que Ronan navigue sur un chalutier sous pavillon irlandais.
Ronan sera le premier à se rendre sur le lieu du naufrage et pourra sauver Philippe.

Un autre personnage fort du roman, est Laura Boyle, militante écologiste, cofondatrice d’Oceanys, une ONG dont l’objectif est de mener des actions pour la protection des océans. Elle navigue sur l’Orion, un bateau en acier d’une vingtaine de mètres, durement éperonné dès les premiers chapitres par un des navires néerlandais harcelés par l’Orion pour leur pratique de la pêche électrique.
C’est par Laura Boyle que nous sont rappelés tous les maux qui touchent les océans, les espèces marines mais aussi la survie de la planète. La pollution par les plastiques transportés par les courants, les métaux lourds retrouvés dans de nombreuses analyses, la pêche électrique mais aussi la pêche minotière – « Les navires qui la pratiquent prélèvent le poisson pour le transformer en farine servant d'aliments aux élevages piscicoles. […] On l'estime au quart des captures mondiales de poissons. » – ou la pêche industrielle dont les bateaux usines pillent allègrement les fonds marins sans souci de la disparition des espèces. Et ce ne sont pas les seuls sujets à se trouver dans le collimateur d’Oceanys, les interventions de Laura Boyle en mettent beaucoup d’autres en lumière. Quel rapport pourrait-il y avoir entre Oceanys et le naufrage du Nominoë ? C’est ce qu’on découvrira plus tard, une piste parmi tant d’autres…

Comme on le voit, le roman est dense et passionnant, évoquant aussi bien les difficultés des pêcheurs bretons que les grandes menaces mondiales, tout en restant dans l’univers du roman noir avec l’enquête autour d’un naufrage entouré de tant de secrets et de rancœurs qu’il sera difficile à expliquer mais, à la fin, la lumière sera faite sur ce terrible événement.

Serge Cabrol 
(15/02/21)    



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Noir & polar








Palémon

(Octobre 2020)
240 pages - 10 €













Caroline Le Rhun
est née en Bretagne dans une famille de marins-pêcheurs. Vagues amères est son deuxième roman.