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Mémoires d’un avare
François Cassette est né d’un père généreux et dispendieuxet d’une mère aristocrate cultivée qui lui donna sept enfants. Le « forcené du don », en gaspillant consciencieusement le patrimoine de son épouse, mena avec bonne humeur mais inéluctablement sa famille à une ruine totale. Rien d’étonnant donc que l’enfance « spaghettis et salsifis » du petit François maigre et frustré l’ait très vite fait rêver de cuisine et de restaurant. Si lors de ses études en droit, le jeune homme lisait avec assiduité le Figaro, dont il appréciait les dessins de Jacques Faizant et les éditos de Jean Dutourd, c’était surtout pour les divagations gastronomiques de Jacques de Coquet qui le confortait dans sa vocation première. Il marcherait sur ses traces et, un jour, le dépasserait. Mais fallait-il encore que le jeune homme de dix-neuf ans sans argent et sans relations réussisse à s’introduire dans ce milieu fermé. Pour y parvenir, il se mit à fréquenter les vieilles dames riches à la recherche de « gigolo chaste, moitié bibelot, moitié hochet » qui lui feraient découvrir les restaurants étoilés et le beau monde qui les fréquentait. Quand il fit la connaissance de Madame S. qui justement connaissait Coquet et qui s’empressa de recommander chaudement son poulain à son ami pour qu’il puisse faire ses premières piges auprès de lui, le tour était joué. La femme était coquette, de compagnie agréable, cultivée, vive et fantasque et généreuse et c’est avec plaisir, voire non sans affection, que le jeune homme se laissait entretenir et en profitait pour se faire sa place dans le monde de l’argent et des bonnes manières. Il n’avait jamais été aussi bon élève. Tout cela nous est rapporté par le docteur Jean de la Desnerie, neurologue qui suit « le plus grand critique gastronomique de son temps », depuis qu’il lui a diagnostiqué un stade très avancé de la maladie de Charcot avec une fin à très court terme. L’occasion pour l’auteur de nous offrir un échange assez savoureux : « Dès notre deuxième rendez-vous à l’hôpital, j’avais eu la responsabilité de lui apprendre que ses jours étaient comptés, juste retour de bâton pour quelqu’un qui avait toujours compté ses sous. » « Quelle excellente nouvelle ! Extra, vraiment je n’aurais pu rêver meilleur sort. Et bon débarras : j’en avait ras la casquette de la cuisine moderne. » Il y a du Molière dans tout cela, le clin d’œil dans le choix du titre et le nom du personnage bien sûr, mais aussi l’incroyable scène du malade encore bien vif et jouant le mourant à sa nièce en lui faisant miroiter avec délectation cette fortune qu’il n’a aucune intention de léguer à sa famille. Mais, si le ressort comique est en partie identique, le héros de Louis-Henri de La Rochefoucauld ne se contente pas comme Harpagon d’être un avare ridicule dans ses excès et laminé par l’angoisse qu’on le vole. François Cassette, lui, est aussi incroyablement conscient, ambitieux, prétentieux, cynique, manipulateur. Le pouvoir le rend aussi heureux que l’accumulation, il jouit de sa propre méchanceté et dort très bien la nuit. C’est comme si, pour ces Mémoires d’un avare, Louis-Henri de La Rochefoucauld s’était amusé à faire appel à d’autres pièces du répertoire du grand dramaturge français pour faire de son avare à lui un personnage moins ridicule mais plus diabolique et méprisable qu’Harpagon en lui ajoutant dans un grand éclat de rire une dose de misanthropie et une autre de perversité semblable à celle du faux dévot Tartuffe. L’homme est ici rarement seul en scène car il a besoin d’un public. Que ce soit l’ex-beau-père, suffisamment ébloui par sa propre puissance pour ne rien saisir de la manipulation dont il est l’objet, qui est à lui tout seul, entre suffisance et rondeur, une caricature de la grande bourgeoisie en place, ou Madame S., femme épicurienne et fantasque mais intelligente et extrêmement lucide qu’il ne parviendra jamais à manipuler complètement, ces deux-là font plus que le servir ou lui donner la réplique. Les autres femmes que le séducteur tente de prendre dans ses filets pour servir son ascension sociale et remplir son compte bancaire, y compris son épouse Lucie la désespérée, se contentent ici d’une pâle apparition sans épaisseur qui reflète le peu d’estime et d’importance que cet égocentrique misogyne leur porte. Quant aux échanges entre Jean de la Desnerie, cet étrange neurologue mystique, et son malade qui nous surprennent en faisant changer le pouvoir de mains ce qui est assez plaisant, ceux-ci nous en apprennent trop peu sur le caractère et les réelles intentions de l’homme de science pour qu’il dépasse ce rôle de contradicteur pour devenir un personnage à part entière. Le roman est très contextualisé dans le présent, que ce soit par des allusions politiques ou de nombreuses références culturelles, allant de la simple citation à un développement d’une page entière. Passons sur les tableaux de Van Gogh et Monet, qui sont pour Cassette le symbole même de la fortune et font des apparitions récurrentes dans le récit, pour évoquer les incontournables figures de la presse (dont Serge July), Louis de Funès dont il s’inspire très manifestement dans ses numéros de cabotinage et de multiples écrivains, de Chateaubriand à Jean d’Ormesson en passant par James Joyce, Proust et beaucoup d’autres. On sera plus surpris d’y trouver Leibnitz et surtout Kant que l’odieux homme aime citer et sur lequel il s’appuie pour étayer ses élucubrations. Les mentions de Landru ou de Liliane Bettencourt (« Liliane avait des mensurations parfaites: à sa mort, elle pesait près de 40 milliards de dollars, ce qui est pour moi bien au-delà de la taille mannequin») sous influence d’un génial F.-M. Banier, que François Cassette admire et aime à prendre en exemple, ne font que souligner non seulement son côté trouble et malsain mais aussi l’aspect pathologique du personnage central. Ce petit roman de commande écrit par Louis-Henri de La Rochefoucauld est extrêmement ludique. L’auteur s’y amuse avec une délectation palpable, y joue avec nos références et avec les mots avec jubilation et malice, comme dans cette phrase : « Il me voyait cistercien je n’en voulais qu’à ses sesterces ». Il peut aussi se montrer fort facétieux quand il évoque l’ancien enfant de chœur devenu tueur en série : « Alors qu’il s’apprêtait à monter sur l’échafaud le 25 février 1922, on avait proposé à Landru une cigarette et un verre de rhum. Voici ce qu’il avait répondu : Non merci, c’est mauvais pour la santé. Quelle belle leçon pour notre jeunesse dépravée qui ne pense qu’à fumer et s’alcooliser. » Inscrit dans la série Les sept péchés capitaux des éditions du Cerf, Mémoires d’un avare est un exercice de style qui se transforme en un excellent divertissement. Laissez-vous embarquer dans cette comédie pimentée d’une pointe de causticité, jubilatoire et éminemment drôle qui tient toutes ses promesses. Un livre court recommandé pour soigner la morosité en ce temps de pandémie. Dominique Baillon-Lalande (05/04/17) |
Sommaire Lectures Le Cerf Collection Les 7 péchés capitaux (Février 2021) 144 pages - 12 €
Bio-bibliographie sur Wikipédia Découvrir sur notre site un autre roman du même auteur: Le club des vieux garçons et un autre roman de la collection Les 7 péchés capitaux Laurence NOBÉCOURT Post Tenebras Lux (La luxure) |
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