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Bernard GLOTIN


Les remparts de la colère



Pendant un été caniculaire, la ville fortifiée de Guérande accueille son lot habituel de touristes. « Malgré la fournaise, la rue avait fait le plein de visiteurs venus trouver un peu de fraîcheur à l'ombre des remparts. Sur la côte bauloise, "la plus belle baie d'Europe" selon les dépliants aguicheurs, plus un mètre carré de sable brûlant n'était disponible : une marée humaine y avait déplié sa serviette de bain géante, chacun jouant des coudes avec son voisin pour faire trempette dans l'Atlantique. »
Tout pourrait être pour le mieux dans le meilleur des mondes s’il n’y avait ces crimes qui viennent troubler la quiétude estivale et angoisser l’office du tourisme.

Quand s’ouvre le roman un moine, le Père Lourisse, fait visiter la ville à un groupe de touristes qui s’apprête à entrer dans la collégiale Sant-Aubin mais un cri terrible paralyse tout le monde.
« Un seul mouvement de tête et le moine comprit d'où il émanait : du ciel ! Un point noir, un minuscule point noir faisait tache dans la toile bleu azur, un minuscule point qui se rapprochait du sol à vitesse grand V.
À trois cents mètres environ au-dessus de ce point noir, un cercle jaune, celui de la montgolfière : elle s'était rapprochée, sa grande toile dominait la commune. Le Père Lourisse, le visage plein d'effroi, comprit alors. Le point noir se fit jambes, se fit bras, se fit cheveux, se fit buste, se fit tête : un corps était tombé de la nacelle et allait s'écraser sur la place. La foule avait compris aussi, des cris d'horreur retentissaient. Certains semblaient comme figés par ce corps désarticulé qui fonçait sur eux. D'autres couraient dans tous les sens, cherchant un abri, une main secourable, une échappatoire. »

Un corps qui tombe du ciel au milieu de la ville en pleine saison touristique, ça fait désordre, d’autant plus qu’il y a déjà eu, un mois plus tôt, une jeune femme, Virginie Delestre, empoisonnée au cyanure pendant sa promenade sur les remparts. Le lendemain de ce premier décès, un courrier anonyme était arrivé à la rédaction de L’écho de la Presqu’île avec cette inscription : « Virginie n’est plus ! Elle l’avait bien cherché. À bientôt… »

Qui était donc cette Virginie ? Pourquoi l’avait-elle bien cherché ? Beaucoup de questions et peu de réponses. Et ce « À bientôt… » très inquiétant. Il fallait empêcher un nouveau meurtre et c’est pour cette raison que les enquêteurs ont été costumés en guides touristiques pour se fondre discrètement dans la ville. Visiblement, ça n’a pas suffi et le Père Lourisse jette avec colère sa robe de bure pour redevenir le capitaine Axel Lourisse chargé de l’enquête sur le meurtre de Virginie Delestre en juillet et maintenant celui de Solène Alfonsi. Sa chute de la montgolfière n’est ni un accident ni un suicide parce qu’elle a reçu une balle dans l’épaule avant de basculer dans le vide. Une situation totalement incompréhensible : personne n’avait d’arme dans la montgolfière et personne n’a rien vu. Ils étaient six dans la montgolfière : le pilote, un photographe, un couple d’Anglais, Solène et son fiancé. C’est l’Anglais qui raconte la scène :
« – Tout s'est passé si vite. Le pilote a fait perdre de l'altitude à la montgolfière pour que l'on apprécie au mieux la vue sur les remparts. À un moment, le photographe nous a invités à regarder l'océan que l'on apercevait au sud. Nous nous sommes alors tournés vers l'immensité de l'Atlantique. […] Nous étions tous en train de profiter du panorama. Quand nous nous sommes retournés, elle avait disparu de la nacelle.
— Quelqu'un d'autre a pu la pousser, non ?
— Cela me semble difficile, voire impossible, nous regardions tous l'océan. J'étais à côté de ma femme qui me tenait la main et sur ma droite, il y avait le photographe qui mitraillait l'horizon. Derrière lui, le pilote et le compagnon de la victime contemplaient le spectacle. J'étais convaincu que Solène était derrière moi, à côté de son amoureux. En fait, non ! J'imagine qu'elle était de l'autre côté, tournée vers le nord. Je vous répète qu'elle avait disparu quand nous nous sommes retournés. »
Voilà un crime bien mystérieux ! Tous coupables comme chez Agathie Christie ? On y pense mais ce serait trop facile. La solution est plus complexe…

Là aussi, un message anonyme parvient au commissariat : « Solène a rejoint Virginie. Au suivant. Je vous donne rendez-vous le 13 août. »
Quel lien relie les deux victimes ? Qui peut bien réaliser des assassinats aussi sophistiqués ? L’enquête est complexe et le « rendez-vous » pour le 13 août renforce la tension.

Plusieurs personnages prennent de l’importance au fil des pages. Le capitaine Lourisse bien sûr, dont on découvre peu à peu la vie personnelle, ainsi que son adjoint, le lieutenant Alban Froissard, mais aussi une journaliste indépendante, Adeline Langèle, séductrice et prête à tout pour décrocher les scoops qui assurent le succès de son blog, « Laplume de sang.org ».

À côté de ces personnages humains, il y en a un autre qui prend la parole, en italique, et on comprend vite qu’il s’agit d’une chienne, Tosca. Ses pensées, plutôt amusantes et sympathiques au début, très axées, sur les odeurs de nourriture, deviennent peu à peu plus inquiétantes, notamment quand, après avoir évoqué sa haine viscérale pour les chats et surtout celui qui se promène sous ses fenêtres quand elle est enfermée, elle revoit le succès de son dressage.
« Son homme avait répété la scène une dizaine, une vingtaine de fois : "Allez, Tosca, chat chat chat !" tout en pointant son index sur la silhouette sans vie. Elle avait finalement compris qu'elle devait se rendre vers cet objet inanimé, ce qu'elle faisait. Mais en guise de récompense, son maître ne lui adressait qu'un air sévère et déçu. Elle sentait qu'il attendait quelque chose de précis. Il répéta l'exercice indéfiniment, trois à quatre fois par semaine, jusqu'au jour où elle saisit le sens de tout ce manège. Après un énième "chat chat chat !", elle fonça vers le mannequin, bondit crocs dehors, le déchiqueta, le dépeça, le transforma en charpie. Tosca se souvenait de cette victoire car la récompense avait été de taille : un os de bœuf, un cadeau si rare que c'était son préféré ; il valait bien plus que tous les restes réunis du marché de Guérande. »

Pour ce premier roman, l’auteur construit un beau suspense où l’on suit dans les rues de Guérande des enquêteurs sous pression, une journaliste curieuse et bien renseignée, un assassin toujours en liberté, et une chienne dont on se demande longtemps ce qu’elle vient faire dans cette histoire…
Tous les mystères, bien sûr, seront résolus et l’enquête aura permis au lecteur une intéressante balade dans les remparts de Guérande et même au-delà.
Un nouvel auteur aux éditions Palémon, c’est une bonne nouvelle, et nous suivrons son parcours avec beaucoup d’intérêt.

Serge Cabrol 
(21/04/21)    



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Noir & polar








Palémon

(Janvier 2021)
280 pages - 10 €













Bernard Glotin
est journaliste. Les remparts de la colère est son premier roman.