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« Pendant la Seconde Guerre mondiale, Hersh Fenster s’était promis, s’il survivait, de tout faire pour que les artistes juifs de l’École de Paris victimes de la barbarie nazie et leurs œuvres ne soient pas oubliés. De retour à Paris après la guerre, il a rapidement commencé à honorer sa promesse et, en 1951, a finalement fait paraître l’ouvrage à ses frais. » C’est ainsi qu’Ariel Fenster, son fils, résume l’œuvre de son père qui vient d’être traduite du yiddish et publiée dans une version enrichie et magnifiquement illustrée. Chacun des portraits que Hersh Fenster dresse des artistes qu’il a connus ou sur lesquels il a enquêté commence par une description humaine. Celle de Zelman Utkès commence ainsi « Le 22 novembre 1892 naît dans le Piaski, quartier pauvre de Bialistok, un petit garçon juif auquel on donne le nom de Zelman. Ni son père, homme de condition misérable qui nourrit sa maisonnée en étant peintre en bâtiment l’hiver et vitrier pour les maisons bourgeoises l’été, ni sa mère, qui a cinq "poussins" à élever, et encore moins le voisinage, ne peuvent deviner que le traine-misère nouveau-né deviendra un personnage respecté en raison d’une drôle d’activité "peindre des petits bonshommes". » Les descriptions de Fenster ne manquent pas d’humour ; « C’est avec une ferveur toute hassidique qu’Aron Brzezinski lutte dans les rangs anarchistes et le paie par des peines d’emprisonnement. » Après un préambule pour louer la puissance du rire et de la caricature dans l’histoire, Fenster nous présente l’humoriste et caricaturiste Ernest Biro « qui croque pour nous l’un de ces "puissants" du jour, Benito Mussolini, dans toute sa ridicule prétention, il nous le présente avec un masque de César et un casque de légionnaire, le torse bombé à éclater. » Auteure de paysages brodés au fil de soie, Sophie Blum-Lazarus, quant à elle, croyait en l’Allemagne de la connaissance et de la culture, celle de Goethe, Schiller et Beethoven, une Allemagne humaniste par opposition à l’Allemagne prussienne. Elle était originaire de Stuttgart, vivait à Paris depuis 1900. Elle est déportée en juillet 1944, à l’âge de soixante-dix-sept ans. Joseph Bronstein, peintre proche du cubisme, amateur de littérature russe est un optimiste confiant, un ami dévoué. « Cette confiance en l’homme l’empêche d’imaginer qu’il puisse exister des barbares tels que les nazis. » Fenster nous rappelle que les Juifs ont subi deux grandes vagues de migration : celle en rapport avec les persécutions et pogroms dans la Russie tsariste dans les années 1880. Les Juifs d’Europe orientale qui croyait aux valeurs d’intégration (les idées de la Haskalah) furent amèrement déçus. Certains partirent en Israël, d’autres aux États-Unis. La deuxième vague est une conséquence de la défaite de la révolution de 1905 à laquelle avait participé l’intelligentsia et les masses populaires juives. Cette défaite provoqua persécutions et pogroms. Parmi tous ces artistes, figure ma propre tante. Son nom est Frania Hart. J’ai pu grâce aux recherches de Fenster et à celles du MAHJ retrouver des éléments de sa biographie et de celle de mes grands-parents originaires de Varsovie. Ce fut le point de départ d’une quête qui me permit de reconstituer la relation entre ma tante et la sculpteur Chana Orloff, de faire connaissance de ses petits-enfants et de son atelier de la Villa Seurat. Puis grâce à des amis et de généreux généalogistes de reconstituer un arbre généalogique de ma famille polonaise jusqu’aux années 1800. C’est une chose que j’imaginais impossible dans une ville totalement détruite par la guerre comme le fut Varsovie. En exergue de son livre, Fenster écrivait « En souvenir de tous les juifs qui furent assassinés parce que juifs, les membres de ma famille, les habitants de Baranów (…) les millions de martyrs de toutes les communautés anéanties ; en souvenir de ce frère tzigane inconnu et des siens, ces libres natures d’artistes, qui marchant avec les juifs vers les chambres à gaz leur adressa ces mots : "On écrira sur vous, mais qui se souviendra de nous ?" Et à tous nos frères humains victimes de la catastrophe. Que leur mémoire soit bénie. » Nadine Dutier (19/07/21) |
Sommaire Lectures Hazan (Juin 2021) 302 pages - 39 € En coédition avec le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme Traduit du yiddish par Nadia Déhan-Rotschild et Évelyne Grumberg Hersh Fenster (1892 - 1964) journaliste et écrivain |
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