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Joshin Luce BACHOUX

Une saison en méditation


« Chaque jour est un voyage, et le voyage lui-même est une autre demeure. »
(Bashô, poète japonais plusieurs fois cité par Luce)

Je ne suis pas bouddhiste. La belle et grave absurdité de notre présence sur terre me convient très bien ; des forces supérieures me seraient pesantes. Il y a assez de forces, de supérieurs et de pesanteur comme ça. Évidemment, je suis encore moins nonne mais quel bonheur de fréquenter un instant Joshin Luce Bachoux. J'ai passé un merveilleux moment en sa compagnie, comme avec une vieille amie. Elle en Ardèche, moi en Haute-Provence, nous nous sommes retrouvées par le truchement de ces cinquante courts récits (chroniques, méditations, réflexions, interrogations, tout ça à la fois) qui invitent à une réelle présence au monde et à la joie d'y participer sans ignorer l'horreur qu'il peut être mais en essayant sans moralisme de ne pas y contribuer.

Il faut dire que les circonstances m'ont vraiment aidée à cette symbiose. Je viens de retrouver ma maison perdue en montagne et avant même d'avoir ouvert ce recueil, je promène partout un sourire béat sur tout ce qui m'entoure. Les montagnes au loin couvertes de neige, l'air glacé, malgré le soleil, qu'elle nous envoie comme de petits bisous piquants ; les tapis de lumière éclatés de boutons d'or, de coucous et autres petites fleurs discrètes, parfaites miniatures, dans les herbes et les avoines folles des prairies qui cernent notre maison. L'odeur du feu de bois, la chanson des bouilloires sur la cuisinière, les gémissements du chat qui rêve devant... L'odeur de l'herbe, de la terre après la pluie, le soir qui nous ramène, épuisés des travaux de la journée, autour de la table.

« De tout notre cœur : nous avons travaillé ainsi, de tout notre cœur – et de tout notre dos, aussi ! Et peut-être qu'il y aura sur la table des choses délicieuses, et peut-être pas. Nous avons plongé les mains dans la terre, comme l'ont fait bien avant nous tous ceux qui étaient ici. Nous avons continué à enlever les pierres, à porter de l'eau... Nous avons plus d'une fois remercié tous ceux-là, grâce à qui cette terre est si belle et si fine. »

Après le travail au potager où, comme dans celui de Luce, les soucis font ce qu'ils veulent, quel plaisir de voir le soir qui semble ici tomber plus lentement qu'ailleurs, les bougies qu'on allume (nous n'avons pas l'électricité !), le silence immense qui nous entoure, rehaussé par le continuel roulement du torrent. La promesse, inscrite dans la boue du sentier, d'apercevoir une bête sauvage (chevreuil, sanglier, renard, loup, blaireau) et le frisson qui va avec.

Comment ne pas sourire devant la toute petite tête si joliment maquillée de notre bergeronnette, première visiteuse du matin qui vient becqueter le prunellier devant la fenêtre ?

Comment choisir parmi les cinquante chapitres qui sont tous si beaux ? J'ai beaucoup aimé Des lignes qui dansent encore une fois parce que je m'y reconnaissais, où Luce répète comme un mantra tout ce qu'il y a à faire ! « Les haricots à planter, la cabane à vernir, la bibliothèque à nettoyer, la remise à bois... Je me sens en mille morceaux, complètement éparpillée, incapable de rien commencer parce que nous voulant déjà en avoir fini, la tête se répétant en boucle "Vite, vite, vite". Une pause. Prendre le temps de me retrouver, de me recentrer, de regarder calmement la journée à venir, et de goûter le plaisir de faire au lieu de cette inquiétude et de cette agitation. »

En me couchant le soir j'ai eu beaucoup de plaisir à retrouver dans les écrits de Luce le bonheur de la journée mais aussi mes interrogations, mes obsessions. Car on n'est pas que béatitude ! J'ai adoré les pages qui s'intitulent Le cri du monde. S'isoler n'est pas oublier l'humanité, au contraire. Elle pleure, crie et se réjouit en nous avec plus de force. Combien de fois, en lavant le linge à l'eau glacée de la source ou du torrent, j'ai pensé à toutes les femmes, avant moi, qui ne sentaient plus leurs mains et qui, elles, n'avaient pas le choix. Combien de fois dans le potager, j'ai pensé à tous ceux qui pour se nourrir ne peuvent s'en remettre qu’à leur travail d'un lopin de terre et aux aléas de la météo. Combien de fois devant les ruines du village dont notre maison, l'école, est la seule debout, j'ai eu le cœur serré en pensant aux générations qui se sont succédé là.

« Oubliez la perfection. Il y a une fêlure dans toute chose. C'est à travers elle que passe la lumière. » Quand Luce cite Léonard Cohen, ça fait du bien. Oui la solitude, le silence, l'indifférence grandiose de la nature, nous rendent redevables à ceux qu'on a aimés, à ceux qu'on aime, mais aussi à tous ceux qui ont participé, qui participent à notre existence, de la grâce de l'instant. (Voir le chapitre Dis merci !)

Petit livre riche d'enseignements et/ou d'instants magiques, tu vas rejoindre notre bibliothèque de montagne essentiellement composée de poésie, tu y seras bien.

« Je ne suis pas seulement la somme de ce que je suis. Je suis – nous sommes – bien plus que tout cela : nous sommes insaisissables, sans limite. Je suis la vie sous toutes ses formes, de la nuit la plus noire au ciel étoilé, de la pâleur de l'aube aux grondements de l'orage. Je suis cet oiseau qui s’élance, et la source qui chante au creux de la prairie ; je suis l'arbre éclatant, et le sombre sapin. Je suis l'autre, et tous les autres : mon voisin, l'inconnue qui me croise, l'étranger en détresse ; cet homme affairé qui passe, ce nouveau-né qui hurle et soudain sourit, cette femme joyeuse portant son enfant dans ses bras et tout ceux que je ne rencontrerai jamais. »

Quand Luce cite Rilke, ça fait du bien aussi : « À travers tous les êtres s'étend l'unique espace, espace interne du monde... Les oiseaux volent en silence à travers nous... »

Sylvie Lansade 
(16/06/21)    



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Joshin Luce BACHOUX, Une saison en méditation
Cerf

(Mars 2021)
192 pages - 15 €
















Joshin Luce Bachoux,
ordonnée nonne bouddhiste dans un monastère japonais, a fondé La Demeure sans Limites en Ardèche.