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Paula VÉZAC


Terre brûlée


« On ne s'exprime pas ainsi, voyons » me jaugeait-il, avec son accent plein des rotondités des beaux quartiers, et je savais que ce qui l'indisposait, davantage que mes formulations, était mon écriture sans afféterie, mon élocution sèche et quasi minérale, comme on le dit de ce vin que j'aime tant, le Menetou-Salon, qui garde dans sa robe la mémoire du terroir qui l'a vu naître. »

C'est effectivement dans une écriture directe, sans fioriture, violente comme un constat de police ou sèche comme un dossier scientifique, la deuxième partie du livre ne s'appelle-t-elle pas L'Enquête, que Paula Vézac se fait archéologue de la vie de sa mère et forcément d'une part de la sienne. À partir de ses souvenirs, de photos dont quelques-unes sont dans le livre, et d'une lettre écrite de la main de sa mère, elle tente de reconstituer le passé de cette femme qui a tant souffert, qui l'a fait tant souffrir et qui vient de mourir dans l'incendie de son appartement.

De ce passé fouillé comme celui d'une criminelle, naissent chagrin, colère, rancœurs, mais surtout un déchirant amour, celui qui n'a pu être vécu, puisque cette mère droguée, alcoolique, dépressive, n'a pas pu élever sa fille. « L’enquête » débouche sur l'amour indestructible qu'il y a entre ces deux femmes.

Comme dans les livres d'Annie Ernaux, le lecteur se sent solidaire de cette histoire. Soit une part de lui-même liée aux origines modestes ressent la même révolte devant la morgue et l'obséquiosité de quelques-uns qui accumulent entre leurs mains richesse et pouvoir, et qui asservissent le peuple, le petit peuple, dont ma mère était, dont je suis, en s'imaginant que cette piétaille serait trop bête pour s'en apercevoir.

Soit la même interrogation le prend devant les photos du passé : ces parents, enfants, adolescents, jeunes adultes, avant notre naissance, dont le regard ne cesse de nous interpeller dans un silence irrémédiable. N'avons-nous pas été surpris, comme ces deux écrivaines, de ne pas reconnaître dans telle ou telle photo ce que nous avions réellement vécu, comme si nous regardions, à travers les photos familiales, la vie des autres.

Où était cette petite fille que je croisais sur ces photographies, souriante, parfois même l'air espiègle ? Mon propre visage me semblait étranger. Mes yeux, ma bouche ne disaient rien de ce que je vivais alors. Rien de ma souffrance n'était visible.

Sylvie Lansade 
(21/01/20)    



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Rouergue

(Janvier 2020)
208 pages - 18,80 €







Paula Vézac,

née en 1978, est conservatrice du patrimoine en Occitanie. Terre brûlée est son premier roman.