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Élise TURCOTTE

L'Apparition du chevreuil


Il était une fois une femme qui vivait au Québec. Elle était écrivaine et féministe. Cette femme avait une sœur qui avait épousé un homme avec qui elle avait eu un fils : l’Enfant. 
La femme, par ses prises de position suite au mouvement #Agressions Non Dénoncées, s'était mise à dos les masculinistes, dont son propre beau-frère était proche.
Afin de fuir le harcèlement en ligne, de s’éloigner un temps de la malsaine Toile, l'écrivaine s'isola dans un chalet perdu au fond des bois. Mais, si les maléfiques Trolls ne la suivent pas dans les forêts québécoises, celles-ci recèlent d’autres personnages inquiétants. D’ailleurs n'est-ce pas le beau-frère qui, dans sa parka, tape à la porte du chalet alors qu’une tempête de neige débute ?

Sous des aspects de conte horrifique, le roman d’Elise Turcotte s’intéresse au plus concret : la prise de parole des femmes et ses difficultés, que ce soit dans la sphère publique ou privée. En effet ici l'ogre s'appelle Rock Dumont, « Patriarche radical » du groupe extrémiste « La Souche », chef d'une meute qui la poursuit.

Et si la narratrice est pourchassée, c'est qu’elle a commis la faute de parler, de ne pas taire la violence qui est faite aux femmes partout dans notre société et qui a fait son apparition dans sa propre cellule familiale en même temps que son beau-frère, auquel elle est la seule à tenir tête, quand sa sœur elle-même se tait : « Il se trouve qu’elle ne dit pas tout à fait la vérité. La colère est encore si mal vue dans la famille, je comprends. Mais je préfère un conte plus sale, je préfère l’autre mémoire. »

Pour la narratrice il n’est pas question de plier, ne serait-ce que pour protéger l’Enfant, celui que le beau-frère voudrait élever dans ses idées, et l’Enfant comme symbole aussi de la génération à venir. Car la menace qui pèse sur tout le roman est tout à la fois domestique et sociétale : quand on s’en prend à une femme qui parle, n’est-ce pas toutes les femmes qu’on veut faire taire ?

Le tour de force d’Élise Turcotte est de nous faire ressentir physiquement l’angoisse, la sensation d’emprisonnement, d’impuissance qui est celle de la narratrice. En donnant à son récit de nombreuses caractéristiques du conte de fées et en le combinant à la psychanalyse (la narratrice rapporte nombre de ses séances) l’auteure nous offre un roman regorgeant de symboles, de peurs et de fantasmes, miroir de notre société : « Je laisse les choses revenir, j’attends la cristallisation de l’émotion, celle qui demeure, celle qui éclaire tout. Pendant que j’écris, je sauve l’enfant et la neige passe du blanc au grisâtre. »

Amandine Farges 
(15/10/20)    



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Lectures








Le mot et le reste

(Septembre 2020)
154 pages – 15 €

Version numérique
8,99 €






Élise Turcotte,
née au Québec en 1957, poète, nouvelliste et romancière, a déjà publié une vingtaine de livres pour les adultes et la jeunesse.


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