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Blackbird se décline en deux périodes, aux XIXe et XXIe siècles, dans cet archipel mélanésien comprenant quatre-vingt-trois îles d’origine volcanique, découvert par les Blancs au XVIIe siècle, nommé « Nouvelles Hébrides » par James Cook au XVIIIe, colonisé par les Anglais et les Français au XIXe et devenu « République du Vanuatu » en 1980. Celui-ci se trouve à cinq cents kilomètres de la Nouvelle Calédonie et à environ quatre fois plus de l’Australie. Au cœur du Pacifique, en 1864, Matthew Oxley capitaine d’un trois-mâts, fait commerce du santal entre le port de Moreton Bay (Australie) où il vit avec son épouse et sa fille et les îles des Nouvelles-Hébrides où il trouve ce bois précieux. Fier de travailler maintenant à son propre compte sur un bateau qui lui appartient, il aime passer la majeure partie de son existence sur mer. Sa femme, issue comme lui de l’immigration de familles anglaises ayant fui la pauvreté, déteste cet endroit, s’y ennuie et rêve d’habiter une vraie ville avec des commerces où son mari pourrait gagner davantage et elle avoir une vie sociale. « Le santal rapporte à ceux qui l’achètent et le revendent pas à ceux qui vont le chercher » se plaint-elle souvent. Pas loin de faire le même constat, Hans, second du capitaine à bord du « Stradbrock » après être passé par le bagne, glisserait bien du transport du bois à un commerce plus lucratif. L’Australie est un jeune pays qui manque de bras, notamment pour ses plantations de canne à sucre, et Hans, comme d’autres santaliers qui profitent déjà de leurs activités dans les îles mélanésiennes pour leur fournir de la main-d’œuvre, ajouterait bien quelques solides indigènes « volontaires » à la cargaison pour augmenter de façon significative les bénéfices partagés au retour. Le capitaine, éduqué selon la morale protestante, ne veut pas en entendre parler. Plusieurs semaines plus tard, l’obstination cupide de Hans, l’inconscience de la fille du capitaine, Anna, qui suite à l’abandon de sa mère a décidé d’embarquer clandestinement pour rester près de son père, et les avaries provoquées par un cyclone non loin de Malakula, pourraient changer les donnes. Sur le trois-mâts immobilisé quelques jours pour réparation l’atmosphère est tendue, Hans, le dur à cuire sans foi ni loi, ne se privant de reluquer Anna par-dessous de façon lubrique tandis que l’équipage, considérant que la présence d’une femme sur un bateau ne peut amener que la poisse et le malheur, regarde la fille avec autant d’animosité que de peur et le père avec colère et défi. C’est à Malakula, île où le capitaine se fournit régulièrement et sans difficulté en bois depuis plusieurs années, cette fois-là comme toutes les autres, que Hans a décidé de passer à l’action. Il sollicite et obtient une rencontre avec le chef de tribu pour lui proposer d’embarquer quelques hommes solides pour travailler dans les plantations de la grande île, payés, logés, nourris et bien évidemment libres de revenir chez eux avec l’argent ainsi gagné à la fin de leur contrat. Le refus de l’ancien est sans appel. « Depuis longtemps déjà les Blancs pillent nos forêts pour ce qu’ils appellent le santal mais aujourd’hui, ce sont nos jeunes hommes qu’ils capturent, qui disparaissent avec eux. Il en vient de plus en plus dans les terres de ce côté de l’île » et aucun homme de sa tribu ne le suivra. Hans dépité et en colère s’agite et menace mais, le capitaine ayant par précaution donné ordre de laisser les fusils sur le navire et les indigènes s’étant pour leur part armés pour le neutraliser face à la tournure que prenaient les choses, le second se trouve dans l’obligation de quitter immédiatement l’île avec ceux qui l’accompagnent comme le chef, calmement mais fermement, le leur ordonne. Tout en serait resté là si l’interprète de la tribu n’avait réussi à glisser à l’oreille du second que ceux de l’île proche de Uripiv pourraient peut-être s’avérer plus faciles à convaincre. Durant la nuit, alors que le navire mouille à proximité, Hans et cinq autres marins armés descendent la chaloupe pour gagner Uripiv, incendient le village et, tuant sans états d’âme ceux qui s’interposent, capturent une poignée de jeunes « volontaires » pour les ramener au navire. Aussi anxieux pour sa fille que furieux envers les auteurs de ce rapt, le capitaine met alors le cap vers Tana espérant trouver là un navire acceptant de ramener au plus vite Anna en Australie. C’est alors que sous l’influence de Hans tout dégénère et que l’histoire entre Umah, un jeune indigène blessé, et Anna, chargée de soigner et nourrir les captifs, va commencer. C’est une bien étrange fiction ancrée dans la réalité historique d’un archipel fort peu connu que Jacques-Olivier Trompas offre à son lecteur, lui permettant à travers ses mots de visualiser le Vanuatu, son territoire, sa configuration géographique, son milieu naturel, son histoire, ses tribus mais aussi ses liens avec l’Australie et la réalité de ces tribus à deux époques différentes. Plus ethnologue qu’archéologue, l’auteur prend un réel plaisir à évoquer le mode de vie des autochtones peuplant l’archipel (pêche vivrière en pirogue, traditions culinaires, variété des habitats), mais aussi leurs croyances, rites ou cérémonies (circoncision d’Umah à laquelle il nous fait assister en direct), la boisson traditionnelle faite avec les racines d’une plante sacré (Kawa), les réunions du conseil des anciens à la « Nasara » d’Uripiv. « Un homme sans Nasara de référence est un homme sans racines, du bois qui flotte sur la mer. » Et s’il prend acte sans préjugés ni tabous du manque d’homogénéité des tribus, source de rivalité et de déplacements fréquents, sans éluder les questions de l’anthropophagie et des sacrifices qui y sont généralement liés, il exprime son admiration pour les Mélanésiens qui, malgré l’incroyable grand écart entre la culture et leurs croyances et celles des Blancs occidentaux, ont su préserver leur culture tout en restant ouverts au monde extérieur. Malheureusement, « la tolérance et l’acceptation des gens des îles pour ce qui vient de l’extérieur », et la marginalité de ces« indigènes (qui) arborent des faciès inquiétants et portent des étuis péniens franchement obscènes » comme le découvre la jeune Australienne Anna avec horreur avant d’être rassurée par la totale absence chez eux d’agressivité, leur seront plus souvent fatales que bénéfiques. Autre écheveau difficile à démêler, celle des origines des uns et des autres en Australie ou sur l’archipel, faisant également de Blackbird un roman de la colonisation (les Missions y jouent d’ailleurs un rôle non négligeable), des déplacements de population et du métissage. « Il y a 3000 ans, des navigateurs chevronnés ont quitté les côtes asiatiques pour des raisons que nous ignorons encore, famine, surpopulation peut-être, à la conquête d’îles dans le Pacifique sud-ouest. Ils sont à l’origine, du peuplement de ce que l’on nomme la Mélanésie. ». Cette diversité, on la retrouve à travers les protagonistes principaux mais aussi à travers les personnages secondaires qui parviennent tous à avoir une touche personnelle. Dominique Baillon-Lalande (17/09/20) |
Sommaire Lectures Au vent des îles (Août 2020) 182 pages - 15 €
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