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Jean-Philippe TOUSSAINT


Les émotions


Comment redonner ses lettres de noblesse à ce si beau sentiment qu’est l’émotion ? Tel est l’objectif que Jean-Philippe Toussaint semble s’être fixé dans son dernier roman, dont le titre dénonce en soi ce qu’il veut condamner, l’émotion au pluriel, ces émotions qui gouvernent les sens en retirant la raison.
Gouvernent les sens et gouvernent tout court. L’élection de Trump, les résultats du Brexit, Jean-Philippe Toussaint en fait des symboles de l’échec de la pensée, démocratique qui plus est. Quand les débats ne sont plus que passions, qu’advient-il ? Populisme et repli sont fatalement au rendez-vous.
Avec La clé USB, l’auteur a commencé une tétralogie qu’il poursuit ici, reprenant son personnage fragile et complexe, Jean Detrez. Le narrateur travaille toujours à la Commission Européenne dans le domaine de la prospective mais c’est vers son propre avenir qu’il va cette fois se tourner. Ou, pour mieux dire, il va se demander si l’avenir des sociétés n’a pas à voir avec l’intime, l’avenir individuel. Ainsi, tout en allant de congrès en réunions, tout en gérant des crises géopolitiques ou climatiques, il va se mettre à l’écoute de lui-même, de ce qui le constitue. Ses émotions.
Deux dominent les êtres selon l’auteur et Jean Détrez va s’en faire l’écho : le sexe et la mort, autrement dit l’amour et le deuil. On le sait, Jean-Philippe Toussaint a perdu son père à la fin de l’écriture de La clé USB et ce deuil prend dans Les émotions une place importante. Le narrateur, lui aussi, perd son père, l’enterre. Vision du mort dans son cercueil : toute une vie soudain réduite à ce caisson. Ceux qui viennent, qui entourent le narrateur ou s’en détournent. Ce que la mort suscite chez les uns et les autres. Chez l’épouse par exemple, quand l’amour n’est plus là. Un autre deuil qui s’entrelace au premier et dans lesquels une partie du roman, son centre, son cœur, nous transporte.
L’encadre l’amour. L’amour que Breton aurait dit fou, celui qui surgit d’un regard, d’une peau. L’amour qui peut faire basculer une vie tout autant que s’oublier dès que consommé. En deux parties presque égales, deux rencontres nous sont ainsi contées. Dans la dernière, de superbes pages dévoilent alors le narrateur, lui que l’on avait vu en position d’homme faible faisant l’amour à sa femme sans amour, en position d’homme tout entier porté vers la découverte d’un corps nouveau.
Peut-on renaître d’un tel corps, d’une émotion nouvelle ? Peut-on renaître d’un deuil ? Peut-on, du moins, en être changé ? Le roman, comme tout bon roman, ne le dit pas. Il y aura de toute façon une suite puisque la trétalogie n’est pas terminée. Jean Detrez l’homme émotif, où l’entraînera donc JP Toussaint ? On a hâte de le savoir dès lors que l’on referme Les émotions.

Isabelle Rossignol 
(24/09/20)    



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Éditions de Minuit

(Septembre 2020)
240 pages - 18,50 €

Version numérique
12,99 €



Photo © Madeleine Santandréa
Jean-Philippe Toussaint
né à Bruxelles en 1957,
a obtenu le Prix Médicis 2005 pour Fuir

Visiter le site de l’auteur
www.jptoussaint.com



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