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Quelle tristesse que le destin de Louis Capelle, Aveyronnais parti pour faire fortune en Argentine au début du siècle dernier ! Je ne peux que reprendre l’exergue si bien choisi par l’auteure :
« Il n’y a plus que la Patagonie, la Patagonie, Trois narrations relatent la vie de cet homme au cœur brisé : une de ses descendantes, de nos jours, essaie de faire tenir ensemble les pièces du puzzle qu’elle a collectées sur cette légende familiale et nous livre un récit recomposé de l’odyssée de cet Ulysse malchanceux émaillé de rares missives envoyées de part et d’autre de l’océan. Louis s’enfuit de son pays en 1905 car il a tout raté. Celle qu’il aime en épouse un autre, celui-là même à qui il a emprunté l’argent pour monter sa scierie qui vient de brûler. Louis est désespéré mais c’est un homme d’honneur, il part pour rembourser ce qu’il doit et peut-être avoir un meilleur sort que dans son village du Causse Blanc. Justement dans la famille, un oncle, le frère de sa mère, a fait souche en Argentine et y a visiblement réussi. Pourquoi ne pas rejoindre ce pays que tout le monde considère, à cette époque, comme un eldorado, où non seulement on peut faire fortune mais aussi y inventer un autre monde, plus juste ? Via Barcelone qu’il a rejoint à pied, Louis va faire un long et terrible voyage, côtoyant sur le bateau qui l’emmène vers le « nouveau » monde, de pauvres migrants comme lui, dont un, Angelo, militant anarchiste, va l’empêcher de se suicider. Mais dès le bateau, Louis comprend que la misère colle aux basques de ses semblables et que loin des siens, de sa langue, dans un pays immense, à la nature et aux climats aussi violents que son régime politique, son sort va être pire que s’il était resté en France. Après bien des métiers qui vont l’emmener jusqu’à Ushuaia où il espère avoir des nouvelles d’Angelo envoyé au bagne, avec tous ceux qui ont osé manifester contre le président du moment, il va retourner à Buenos Aires où le fils caché de son oncle (une autre histoire de famille tenue secrète) va l’aider à acquérir un lopin de terre. Là, sur un îlot du Rio Paraná, il va s’épuiser à payer sa dette, vivre misérablement et terriblement seul, avec, avant de mourir la compagnie silencieuse d’un Indien et celle inquiétante d’un caïman. Cette histoire triste est racontée d’une manière si fluide, si simple, qu’on a l’impression de lire la geste d’un héros anonyme, un long poème sur un homme inconnu, un parmi tous les autres, dont l’Histoire avec « une grande H » ne parle pas mais qui, comme tous les hommes, a vécu, aimé, souffert, trimé et s’est éteint humblement, ne laissant de son passage sur terre qu’un vague souvenir persistant de génération en génération, quelques lettres qui taisent plus la réalité qu’elles ne la disent et deux objets : deux petits tableaux qui invitent à la rêverie, au voyage, à la création artistique. N’est-ce pas comme ça que naissent les romans ? « Louis est resté un moment à regarder le ballet des vapeurs sur l’estuaire. Ceux qui arrivaient de Montevideo croisaient les navires en partance pour la haute mer. L’air était étouffant. Depuis le matin, une brume épaisse enveloppait le fleuve. Adossé contre un mur, un homme jouait du bandonéon. Un air triste, auquel se mêlaient le grincement des poulies et l'appel obsédant des sirènes. Sylvie Lansade (03/07/20) |
Sommaire Lectures Serge Safran (Juin 2020) 208 pages - 17,90 €
sur Wikipédia Découvrir sur notre site un autre roman de Michèle Teysseyre : Loin de Venise |
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