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Lionel Shriver nous offre ici dix nouvelles d’une vingtaine de pages encadrées par Le lustre en pied et La locataire, deux "novellas" (petits romans) d’une centaine de pages. La majorité d’entre elles se déroulent aux USA à l’exception de la dernière qui se passe en Ulster, Le sycomore à ensemencement spontané, Repossession et Poste restante qui se situent en Grande Bretagne et Taux de change évoquant la visite d’un père américain à son fils émigré de longue date à Londres. Ces nouvelles habitées par des femmes fortes et des hommes sûrs d’eux, par des êtres ligotés par leur désir de bien faire ou minés par l’indécision, par des personnages hors clous et plus ou moinsfantasques comme Jillian (Le lustre en pied), Liana (Kilifi creek), Gordon (Poste restante) ou Emer (La locataire), offrent une belle variété de personnages. Le couple traditionnel y tient, pour le pire et rarement pour le meilleur, une place de choix mais l’auteure sait également se positionner un pas de côté pour ausculter les duos mère et fils (Terrorisme domestique) ou père et fils (Taux de change, Le baume à lèvres). Chez les uns comme chez les autres, les relations inter-individuelles virent facilement à l’aigre, à la frustration et à l’entrave. La famille en prend directement pour son grade et pour la fuir de jeunes célibataires, pour les vacances ou pour s’y installer dans l’espoir d’une vie plus en accord avec leurs aspirations, regardent vers la Grande-Bretagne, l’Ulster ou le Kenya. L’occasion pour le lecteur français de découvrir qu’existent une communauté et un réseau solidaire des expatriés américains particulièrement actif. Dans Terrorisme domestique, ce ne sont ni les remboursements du pavillon avec jardin acheté il y a longtemps par des parents de classe moyenne, ni son état, ni même son entretien qui posent problème. C’est l’intrusion dans cette maison de dérèglements sociaux extérieurs, sous la forme du chômage contraignant de nombreux trentenaires à rester ou revenir vivre chez leurs parents, qui déclenchera une guerre de front. Le fait que Liam, le fils, semble ici se satisfaire pleinement de son existence d’éternel adolescent inactif accroché comme un bernard-l’hermite au confort du foyer familial et son caractère passif-agressif qui le fait tyranniser son entourage, ne font qu’exacerber la situation, ouvrant la porte à un rebondissement magistral. En périphérie de l’histoire elle-même, la force de l’emprise qu’exercent les médias sur la société américaine contemporaine et les mentalités nous laisse stupéfaits. Cette nouvelle décalée qui m’a particulièrement séduite est la plus satirique et la plus féroce du recueil.
Si ce recueil à l’unité évidente s’attaque très clairement par ses fictions aux travers de la société américaine et aux aspects destructeurs que celle-ci génère chez les individus qu’elle façonne, il fait aussi la part belle à une analyse pleine de finesse de la psychologie humaine, offrant une gamme étendue de sentiments, nobles ou mesquins, dans différents milieux et à des phases de la vie et des âges suffisamment diversifiés pour ne jamais lasser son lectorat. Le rythme entretenu par de nombreux dialogues en est vif, le scénario de chaque nouvelle conçue comme un univers en soi en est toujours bien construit, les personnages qui y prennent vite chair ne nous laissent jamais indifférents. La conjugaison d’humour, de causticité et d’opiniâtreté choisie par Lionel Shriver comme arme pour déboulonner le dieu Argent de la stèle où les hommes et les États l’ont placé et nous alerter sur les effets ravageurs de son corollaire, le désir de possession des biens et des êtres, s’avère diablement efficace. Mais si ces histoires, grâce à la fantaisie de leur auteure, nous font plus souvent rire ou sourire que pleurer, le rapport de force biaisé qu’il dépeint entre la quête maladroite de bonheur des êtres humains et la sauvagerie sans limite du monstre avide qui fait société n’en reste pas moins fort préoccupant. Un premier recueil de nouvelles écrit par une romancière confirmée, inquiétant par son sujet, remarquable de cohérence, jouissif pour sa galerie de portraits, séduisant par son ton et son énergie. Dominique Baillon-Lalande (20/05/20) |
Sommaire Lectures Belfond (Février 2020) 456 pages - 21 € Version numérique 7,99 € (Août 2021) 504 pages - 8,40 € Traduit de l’américain par Laurence RICHARD
Bio-bibliographie sur Wikipédia Découvrir sur notre site un autre livre de Lionel Shriver : La famille Mandible |
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