Lire Les roses fauves de Carole Martinez, c'est accepter de partir vers des mondes où la fable devient fabuleuse sous la plume poétique de l’auteure. 

Deux fils essentiels tissent ce roman. D’une part, Lola une femme seule, solitaire, discrète, assez froide, boiteuse, postière dans un petit bureau de poste de Bretagne, bref, un personnage peu romanesque ; la narratrice-autrice, en mal d’inspiration pour son prochain roman, qui souhaite s’isoler, loin de sa famille, pour tenter d’écrire son roman, d’autre part. Le hasard des rencontres et les destins se croisent… La narratrice pressent qu'il y a un mystère fécond : pourquoi Lola n'ouvre-t-elle pas cette armoire qui est dans sa chambre ? Pourquoi Lola retient-elle pourtant l’auteure chez elle un soir ? Lola est dépositaire d’une tradition familiale : en Espagne, où sont nées les aïeules de Lola, quand une femme sent venir la mort, elle brode un cœur, un cœur cousu de ses secrets, le transmet à sa fille qui elle-même a l'absolue interdiction de l'ouvrir... mais la transgression ouvre un univers où ressuscitent les histoires du passé, où les contes se mêlent à l'histoire des femmes de la lignée de Lola et à celle de Lola elle-même...

La fiction et la fable vont s'entremêler naturellement, et le lecteur, tel le prince charmant des contes, va se frayer un chemin dans les pierres et les ronces qui ont envahi le jardin de Lola ; nous en avons l’habitude avec Carole Martinez. Cependant ce qui est neuf, c’est que le lecteur va entrer aussi dans le laboratoire de l’écriture de la narratrice qui tient son propre journal d’écriture et qui se penche sur l’acte d’écrire en nous livrant la manière dont se construit, se coud son roman : Je suis seule avec mes personnages, seule à broder un monde second à petits points, un texte que mes nuits démaillent. Il faudrait que je dorme. Je vais m’interdire de travailler à partir d’une certaine heure. Mais, écrire, c’est un peu dormir et rêver.

L’écriture est lumineuse, poétique, jubilatoire, les images pures, et le lecteur s’évade par les mots, vecteurs des contes et de la poésie dans un univers peuplé de mythes, de secrets, d’aventures et de drames.

Entrez dans la vie de l’auteure, laissez-vous porter par ce roman intime, cette saga familiale, cette histoire ancestrale où le passé explique le présent, où le passé est présent. Laissez-vous envoûter par ce personnage étonnant qu’est celui de Lola. Carole Martinez nous montre combien il est important de saisir l’infime, d’écouter les êtres qui ne sont qu’une partie émergée, réelle, d’un iceberg de poésie et de fantaisie.

Sylvie Legendre-Torcolacci
(05/11/20)