Dans ses romans, Maurice Gouiran nous a le plus souvent dévoilé un évènement peu ou mal connu de notre histoire, tout en trouvant le moyen de l’animer, et de l’analyser grâce à une fiction qui lui servait de révélateur. Parce que pas toujours honorables, ces moments du passé avaient été soigneusement laissés dans une ombre sinon pudique du moins opportuniste. Et, de ce fait, cet écrivain nous a permis de connaitre non seulement certaines facettes de notre histoire, précisions pertinentes comprises, mais il a aussi réussi à nous présenter chaque fois une peinture vivante de l’époque. Ainsi à travers des personnages nés de son imagination d’auteur de romans noirs, il nous transportait de son habile manière dans une réalité percutante, sans oublier pour autant une dose de suspense.

Dans ce dernier roman, le ton semble plus grave. Le prologue nous informe qu’en 1915, le sénateur Paul Doumer est parti en Russie pour échanger des hommes contre des armes. « Dans un premier temps le tsar lui accorde 44 000 hommes encadrés par 750 officiers. Ces soldats russes sont répartis en quatre brigades. La première commandée par le général Lokhvitski arrive à Marseille en avril 1916. »

C’est ainsi que débute cette histoire qui va se dérouler en deux parties. La première, « Marseille 1916 », racontée par Kolya, jeune militaire qui, connaissant la langue française, comprendra mieux certains comportements, ou discours et, militant sensible aux idées révolutionnaires qui commencent à prendre forme et mouvement, continuera à vouloir se battre contre toutes les dictatures. La deuxième, débutera à « Marseille 1917 » et nous sera alors relatée par Rotislav.

Après leur départ de Russie et au cours d’un voyage long et pénible vers la France, quatre jeunes hommes ont tissé des liens. Arrivés à Marseille, après avoir été acclamés par la foule tels des sauveurs, ils resteront ensemble. Venant de différents milieux, ils ont des caractères bien différents, et des motivations particulières. Ainsi Slava « a poussé sur le pavé, sans jamais manger à sa faim. Son père dépensait les quatre roubles qu’il pouvait barboter par-ci, par-là, en courant les filles de joie et en vidant des tonneaux de vodka. »

Iouri, quant à lui, est à la recherche de l’homme qui a tué sa sœur Talya. Celle-ci était partie à Moscou pour travailler et changer de vie. Cette recherche va l’obséder, persuadé qu’il est de retrouver son assassin et pouvoir la venger.

Rotislav, né le 2 décembre 1895, nous informe que « face à la mort que nous côtoyons chaque jour, nous dissimulons notre peur sous les railleries et les facéties. Les heures à venir seront d’une effroyable violence ».

Ces très jeunes gens vont vivre des aventures complexes où se confronteront intérêts locaux et missions patriotes, où des décisions seront prises qui ne changeront peut-être pas l’issue de la guerre mais bouleverseront leur destinées, leurs réflexions, et leur vie !

Nous allons les suivre depuis leur arrivée à Marseille, et au fil de notre lecture, dans leurs pensées car la réalité de cette guerre est perçue de leur point de vue, de l’intérieur, justement grâce au talent de Maurice Gouiran. Ainsi le front en Champagne, ou le « Chemin des Dames » ou quelque autre moment dramatique. Ainsi ces différences ou même indifférences dans l’horreur des combats ?
Et comme le dira plus tard un des héros de cette histoire : « La guerre, il y a toujours eu ceux qui la souhaitent, ceux qui en tirent profit et ceux qui la font. Ce sont rarement les mêmes… »

Alors on ne peut que remercier Maurice Gouiran, au talent si particulier, pour nous avoir donné sa version de cet épisode de la guerre, car la fiction ici joue le rôle de révélateur au service d’une réalité sensible qu’il est bon de connaitre.
Ces réflexions sur certains comportements, certaines motivations, ou sur des erreurs vite oubliées parce que balayées, ne continuent-elles pas à alimenter notre actualité ?
Une excellente et passionnante lecture.

Anne-Marie Boisson 
(03/08/20)