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Bruno GAUSCHER


Le signe du singe


Un recueil de quarante et une nouvelles très courtes (de deux à six pages) qui n’ont pas vraiment de lien entre elles.
Le recueil est certes très (trop ?) consistant mais offre une vraie variété. L’auteur y flirte non sans savoir-faire avec la littérature de genre, fantastique (Malin et demi, la compagnie des hologs), polar (Out, Bleu, Les phares, Le seuil critique) et s’y révèle particulièrement percutant dans l’art du décalage (Pain, Transfert, Renaissance), de l’énigmatique (Une robe blanche, La poussette, Une seconde chance, Mon tigre), et surtout de l’absurde (Voix du canard, Le signe du singe, Gorille président). La quinzaine de nouvelles ici citées sont celles pour lesquelles le plaisir de lecture s’est trouvé au rendez-vous, qui ont su plus particulièrement retenir mon attention ou susciter mon émotion. Mais il y en a ici pour tous les goûts et chacun réagira selon sa propre sensibilité.  

Pour vous en donner la tonalité voici trois extraits choisis :
« Depuis plusieurs années, nous constatons avec regret, et au-delà de toute logique, que notre parti écologiste ne rencontre pas l’adhésion des citoyens de ce pays. Moins de 0,8 % aux dernières élections, ce n’est plus une défaite, c’est une déroute. C’est sûrement notre faute... mais si l’on est lucide jusqu’au bout, on peut aussi se rendre à l’évidence, celle de l’histoire en cours : l’homme est l’animal le plus bête du monde. Cependant, nous ne voulons pas renoncer à convaincre, à répéter inlassablement que l’écologie est la seule réponse à l’autodestruction exponentielle pratiquée sur notre planète. C’est pourquoi nous allons présenter notre candidat à l’élection présidentielle. Le meilleur des candidats possibles. Il s’appelle Daniel. Et juste avant qu’il ne vienne se présenter à vous dans cette salle, je tiens à vous prévenir : c’est un gorille. » (Gorille président)

« D’habitude je ne parle pas aux canards. Mais à vrai dire ce n’est pas moi qui ai commencé. C’est le canard
(…) J’étais allongé sur ma serviette, en train de bronzer, j’ai fait un petit somme et quand je me suis réveillé des gens s’étaient installés juste sur ma droite. Il y avait un grand parasol, plusieurs serviettes, des sacs, des pelles et un seau, et là, à quelques centimètres de moi la bouée-canard, vous voyez la bouée standard avec sa couleur bien jaune, le bec orange et les deux grands yeux ronds dessinés façon BD, noirs sur fond blanc. (…) et alors j’ai entendu une petite voix, une petite voix de canard qui m’a dit : "va-t’en !" » (La voix du canard)

« Judith conduisait silencieusement. Elle avait hâte d’arriver chez Betty. Son mari Ian était assis à côté d’elle et commençait sérieusement à l’excéder. Quand il lui fit remarquer pour la troisième fois qu’elle roulait un peu trop au milieu de la route, elle se dit qu’il était temps de l’éteindre. Elle trouva un endroit pour pouvoir se garer et, une fois à l’arrêt, prit le boîtier FSO pour appuyer sur la touche on/off. Mais elle avait beau appuyer sur la petite touche, rien à faire, Ian restait désespérément assis à côté d’elle. » (La compagnie des hologs)

La singularité et l’oralité évidente de ces nouvelles pourraient aisément faire le bonheur de ceux qui aiment à partager leurs lectures à voix haute.

Ces nouvelles nous disent le présent et l’être humain. Il s’en dessine que les autres ne sont pas souvent ceux que l’on croit qu’ils sont, que le monde n’est pas ce qu’il paraît et que l’absurdité planquée derrière le mur ne manque jamais l’occasion qui se présente de pointer son nez. L’humour, la fantaisie et le mystère sont ici plus fidèles au rendez-vous que le drame ou la nostalgie, mais, derrière cette apparente légèreté, des questionnements masqués s’infiltrent parfois insidieusement dans le récit, comme une alerte face à la complexité et la vanité de la société dans laquelle nous évoluons. La question des espèces et celles concernant l’environnement semblent, en arrière-plan, les plus présentes.

La lecture en continu de ce recueil, par son foisonnement un peu brouillon et une certaine inégalité de traitement, ne me paraît pas la meilleure façon de découvrir cet auteur. Je conseillerais pour ma part au lecteur d’y piocher plutôt à l’envi, pour s’arrêter à la nouvelle qui correspond à son humeur, le fera rire, saura personnellement le toucher ou pointerait du doigt une problématique qui lui est proche ou l’intéresse plus particulièrement. Le panel est suffisamment vaste pour y trouver son compte et le rythme et la tension entre humour, angoisse et rire qui caractérisent ces nouvelles produisent de belles surprises.  

Dominique Baillon-Lalande 
(24/04/20)    



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Bruno  GAUSCHER, Le signe du singe
Quadrature

(Octobre 2019)
162 pages - 16 €

Version numérique
9,99 €


















Bruno Gauscher
a écrit de nombreuses chansons sous le nom de Bruno Morelli. Ses tentatives de romans se terminant au bout de quelques pages, c’est tout naturellement que la nouvelle s’est imposée.