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Laurent GAUDÉ

Eldorado

         « Le commandant Salvaltore Piracci déambulait dans ces ruelles [de Catane], lentement, en se laissant porter par le mouvement de la foule. Il observait les rangées de poissons disposés sur la glace, yeux morts et ventre ouvert. Son esprit était comme happé par ce spectacle. Il ne pouvait plus les quitter des yeux et ce qui, pour toute autre personne, était une profusion joyeuse de nourriture lui semblait, à lui, une macabre exposition. » Il y a comme une odeur qui flotte sur le roman. Salvatore Pirraci est garde-côtes sur une frégate et intercepte les migrants, souvent morts, pour les amener à Lampedusa, en centre de rétention.

         Son commandement commence à lui peser quand une rescapée de la traversée de la Méditerranée qu’il avait recueillie sur son bateau deux ans auparavant et dont le fils est mort pendant le voyage, les passeurs ayant déserté le navire sans essence et sans eau, lui demande son revolver pour se venger du patron des passeurs. De sauvetages en pots avec son ami Angelo, sa conscience mine peu à peu son rôle.  « Un vieillard, pensa-t-il, voilà ce que je deviens. Et les jeunes gens que j’intercepte eux, sont toujours plus forts. Ils ont dans leurs muscles la force et l’autorité de leurs vingt ans. Ils essaient de passer et réessaieront une fois, deux fois, trois fois s’il le faut. »

         Pendant ce temps, Soleiman quitte son pays, entre en Lybie, avec pour but l’Europe. « Je me suis trompé. Aucune frontière n’est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. Nous avons cru pouvoir passer sans sentir la moindre difficulté, mais il faut s’arracher la peau pour quitter son pays. Et qu’il n’y ait ni fils barbelés, ni poste frontière n’y change rien. J’ai laissé mon frère derrière moi, comme une chaussure que l’on perd dans la course. Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes. » C’est le parcours du combattant qui commence, l’humiliation, la faim, le vol, la brutalité jusqu’à la perte d’une partie de soi, de sa dignité, pour un seul but, passer en Europe. « Nous nous apercevons que nous sommes devenus laids. »

         Dans ce court roman, brutal, au style presque journalistique, alternent les destins de ces deux personnages, deux acteurs de l’émigration, le gardien de la vieille Europe qui doute de son rôle, qui a des remords et la vitalité de la jeune Afrique qui n’a qu’un seul objectif et s’abaisse alors qu’elle s’élève vers le vieux continent.

Michel Lansade 
(27/01/20)   



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224 pages - 6,10 €


Ce roman a paru en 2006
chez Actes Sud






Laurent Gaudé

Bio-bibliographie
sur le site de l'auteur:
www.laurent-gaude.com