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Ça commence par un cochon en liberté venu de nulle part qui dans les rues de Bruxelles perturbe la circulation place de la Bourse, bouscule les passants sur son passage, sème la panique et monopolise les réseaux sociaux et les journaux à scandale alors que le président des Producteurs de porc européens venu sur place peste sur les incompétents de l’UE incapables de faire face à la demande chinoise. Simultanément un homme est tué à proximité dans l’hôtel Atlas par Mateusz Oswiecki, un étrange agent secret d’origine polonaise mystique à ses heures dont on ne connaîtra jamais précisément l’employeur ni la raison de cette liquidation commanditée, ni si finalement il y a eu ou non erreur sur la cible. Le vieux commissaire belge Émile Brunfaut, obèse et alcoolique mais sympathique, honnête et obstiné, est chargé de l’affaire puis en est dessaisi mais, avec l’aide de quelques complicités, s’obstine dans la clandestinité à comprendre les strates cachées de cette affaire trop vite classée... L’auteur, curieux du fonctionnement de l’Union Européenne et admirateur de Jean Monnet et Walter Hallstein fondateurs de l’Europe, a vécu épisodiquement à Bruxelles plus de cinq ans avant de publier plusieurs essais sur le sujet en 2015 et 2016. C’est de ses chroniques bien documentées qu’il tirera le matériau utile pour construire ce roman haletant et débordant d’imagination sur l’identité européenne. Roman policier doublé d’un volet d’espionnage, satire acerbe et moqueuse de la presse à scandale à travers les divagations surréalistes du cochon tout au long du livre, tableau coloré de la capitale européenne avec son métro, ses bistrots, ses restaurants, son cosmopolitisme et ses travaux permanents, portrait à charge du fonctionnement des institutions européennes, de l’ambition personnelle et des petits arrangements des jeunes loups ou louves (quota oblige) qui hantent les bureaux du Conseil, ce livre foisonnant et inventif, drôle autant qu’instructif ou émouvant est tout cela à la fois. Chaque personnage, du tueur polonais en cavale à l’horripilante taulière de la maison de retraite, de la directrice chypriote de la commission culture aux origines modestes au brillant comte italien du cabinet du président, des hommes vieillissants que sont Martin, David ou Aloïs touchants par leur fatigue, leur lassitude et leur incapacité à déposer les armes face aux jeunes stagiaires aussi conquérants que crédules, tous sont ici assez bien décrits pour que le lecteur s’attache à leurs pas avec émotion. La manière dont l’écrivain questionne les notions d’identité, de nationalisme, de mémoire, de paix, de racines, des liens, du vivre ensemble, de l’idéal, de la mort et de la lutte, dans cette fresque composite mais finalement cohérente qui entremêle l’institution européenne (et au-delà de l’Europe et des pays qui la composent) et les horreurs de la Shoah qui ont provoqué sa création est, loin de tout pamphlet ou toute volonté dogmatique, ici sensible et en profondeur. La cocasserie de certains épisodes (ceux du cochon ou de l’invitation à Auschwitz en sont de bons exemples) n’y est jamais réductrice, simplement ludique ou choquante car en amenant la tragédie et la comédie à se télescoper, en habillant la violence de ses critiques (envers la presse à scandale ou les visites touristiques des camps) d’atours provocateurs l’auteur ne fait que rendre audibles, de manière dédramatisée et décalée mais non irrespectueuse, les questions graves voire essentielles qui lui tiennent à cœur. Si la tension et l’humour retiennent l’intérêt du lecteur jusqu’aux dernières lignes, c’est l’acte de foi de l’auteur dans la légitimité politique de l'Europe, l’espoir qu’il fonde en elle et l’amour qu’il lui porte qui donne à cet ouvrage sa force et son sens. Ce livre, à contre-courant des discours eurosceptiques ambiants ou des déçus de l’Europe des marchés, au-delà de l’alarme qu’il lance quant à l’oubli de l’Histoire, la suprématie de l’économie sur l’idéal humaniste et l’avenir fragilisé de l’Europe, exprime un enthousiasme non béat mais communicatif quant à l’utopie d’une « république européenne » à construire. « Si l’on veut parler de l’UE, il faut rappeler cette promesse, plus jamais ça. On ne peut pas dire qu’Auschwitz est un problème allemand, c’est un problème européen. C’est la conséquence la plus radicale du nationalisme et du racisme. Et on n’est pas forcé d’en arriver à Auschwitz pour observer de quelle agressivité fait preuve aujourd’hui le nationalisme en Europe. » (Interview de Robert Menasse). Peut-on encore rêver d’une Europe Humaniste à la place de l’Europe économique ? Ce livre intelligent, plein de fantaisie, caustique et absolument passionnanta reçu le prix du Livre allemand à Francfort en 2017. Dominique Baillon-Lalande (25/04/19) |
Sommaire Lectures Verdier (Janvier 2019) 448 pages - 24 € Traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Mannoni
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