Retour à l'accueil du site | ||||||||
« Je suis née à Chicago et j’étais un bébé de taille normale ». En 1955, nul n’imagine que cette petite fille mesurera 1,87 m à dix ans et entrera à vingt ans dans le Guinness book en tant que femme la plus grande du monde. C’est l’annonce de ce record dans un journal italien qui a donné à Federico Fellini le besoin irrépressible de la faire venir à Rome pour jouer le rôle de la géante dans Casanova. Quelques moments de gloire ici ou là, beaucoup de traitements, d’opérations, de douleurs, des éclats de lumière dans une vie de solitude, c’est ce parcours hors du commun qu’Isabelle Marrier nous fait partager ici, avec tendresse et empathie, d’une écriture délicate et subtile (que nous avons déjà tant appréciée dans ses précédents romans dont Le reste de sa vie chroniqué ici), en une suite de courts chapitres comme autant de saynètes autour d’un thème, d’une date ou d’un événement, constituant un ensemble cohérent pour évoquer l’existence de Sandy mais aussi le contexte qui a entouré sa vie entre 1955 et 2008. « Bébé de taille normale » certes mais dans un environnement difficile. Sa mère a vingt ans. « Est-elle un peu folle ou fragile ou méchante, un peu droguée ou tout à fait alcoolique ? » En tous cas incapable de s’occuper de ce bébé qu’elle confie à sa mère. Le père est un chauffeur de camion toujours sur la route, Sandy n’en saura pas plus et ne le verra jamais. Elle vit avec sa grand-mère, une femme courageuse et dévouée qui va être obligée d’assumer le suivi médical de cette enfant qui grandit trop vite, les visites à l’hôpital d’Indianapolis avec l’interminable marche jusqu’à la gare routière et les voyages en autocar. « Bébé de taille normale » certes mais ça n’a pas duré. Dès l’âge de trois ans, elle paraît bien grande à côté des autres et il faudra du temps avant qu’on comprenne que c’est une acromégalie, une tumeur de l’hypophyse qui entraîne cette surabondance d’hormones de croissance. C’est à vingt ans qu’une opération mettra fin à sa croissance (mais elle mesure 2,32m !) et lui permettra de ne pas perdre la vue. Isabelle Marrier nous fait partager toutes les réflexions et interrogations de Sandy. Sa peur de la mort, sa quête du père, la difficulté de ses relations aux autres, ses souffrances physiques qui l’obligeront à terminer sa vie en fauteuil roulant, mais aussi son rapport à la célébrité… Mais le cinéma ne sera pas son métier. Jeune fille, elle est dactylo notamment à la Chambre d’Etat des Vétérinaires. Plus tard, elle travaillera pendant huit ans au Musée Guinness des chutes du Niagara. Dix à quinze fois par jour, un petit discours rôdé, répondre aux questions, sourire pour les photos… Côté cœur, on lui fera parfois la cour mais plus par curiosité que par sentiment sincère et elle restera seule toute sa vie. En alternance avec les épisodes de la vie de Sandy, certains chapitres évoquent différents thèmes en rapport avec elle comme l’usage des hormones de croissance dans l’Amérique des années 50 ou le goût immémorial du public pour les « monstres » (horreur, fascination, bonheur de ne pas en être). Un livre profondément humain, bien construit et bien écrit, autour d’un personnage attachant présenté avec respect et délicatesse, dont on partage le quotidien et les émotions, le pire et le meilleur. Un roman salutaire, donc, puisqu’il nous rappelle que le droit à la différence doit s’imposer dans tous les domaines, sans moqueries et sans discrimination. Une nouvelle preuve de la qualité d’un parcours littéraire que nous continuerons à suivre avec beaucoup de plaisir et d’intérêt. Serge Cabrol (31/07/19) |
Sommaire Lectures Flammarion (Janvier 2019) 280 pages - 19 €
Découvrir sur notre site un autre roman d'Isabelle Marrier : Le reste de sa vie et sous le nom d'Isabelle Pestre : La rencontre |
||||||