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Le harcèlement au travail, le management par le stress sont au cœur de ce roman noir dont la construction ajoute à la tension ambiante et au suspense. Dès le début, on sait qu’il est arrivé quelque chose de grave à Chrystal mais il faudra attendre la fin pour avoir plus de précisions. C’est par les témoignages de ceux qui l’ont connue, interrogés par un mystérieux enquêteur, qu’on découvre la personnalité de la jeune femme et les problèmes auxquels elle s’est heurtée. L’entreprise, c’est Medecines. Cette société « travaillait pour différents laboratoires pharmaceutiques et était un leader international dans son domaine : l'information médicale. Il s'agissait de répondre aux questions des professionnels de santé (à savoir, les médecins, les pharmaciens, les sages-femmes...) et des patients sur les médicaments commercialisés par différentes firmes. » Medecines recrute donc des scientifiques de haut niveau, master ou doctorat, en chimie, médecine ou biologie, pour répondre au téléphone toute la journée à des professionnels ou des patients inquiets d’éventuels effets secondaires ou d’une rupture d’approvisionnement. Un travail répétitif, payé au minimum, loin des rêves des jeunes diplômés. Mais les postes intéressants étant rares, cet emploi fastidieux évite le chômage et paie le loyer. La première à nous en parler est Cendrine. « Après treize mois de chômage dont deux à relire ma thèse et onze à tourner et retourner dans mon studio de 15 m², cette embauche avait des allures de délivrance. » À travers les témoignages de Cendrine et Erwan, nous découvrons la réalité du travail qui leur est demandé et les conditions dans lesquelles ils doivent remplir leur tâche, des conditions dignes du 1984 de George Orwell. « Chaque matin, nous devions nous connecter sur un logiciel pour recevoir nos appels. Nos heures d'arrivée et de départ étaient ainsi automatiquement notifiées à la hiérarchie. Notre pause du midi implacablement chronométrée. Nous devions ensuite rester à notre poste sans bouger dans l'attente des appels. Pour aller aux toilettes, il fallait se déconnecter et l'information était transmise au chef de projet... Comme si cela ne suffisait pas, il fallait remplir le soir un reporting personnel de toutes les tâches que nous avions effectuées dans la journée et du temps que nous y avions consacré (au quart d'heure près). » Cendrine s’y accoutume plus ou moins, acceptant même les astreintes téléphoniques une semaine sur trois pour répondre avec un portable aux appels de nuit et du week-end. « Je n’étais pas décidée à lâcher l’affaire. J’avais trop besoin de ce poste. Mon maigre salaire était toujours mieux que les Assedics. » Au fil du roman et grâce à d’autres narrateurs, nous apprenons comment Chrystal, ulcérée par l’injustice, a tenté de dénoncer l’absurdité et la nuisance des méthodes d’encadrement, nous comprenons comment l’entreprise a écrasé sa révolte et usé sa résistance, la conduisant à la dépression, au burn-out et a tout ce qui s’en est suivi. « Vous savez, Sophie était chiante avec tous ses subordonnés. La direction disait qu'elle était perfectionniste... Elle foutait la pression à toutes les filles. Le management par le stress, c'était vraiment son truc ! Pourquoi ça n'a pas marché avec Chrystal ? Pourquoi ça l'a fait souffrir plus que les autres ? Je n'ai pas de réponse à cette question. Ensuite, lorsque Chrystal a commencé à résister, le système Medecines a pris peur et s'est emballé. Ils tenaient les gens par la terreur, vous comprenez ? Et soudain, il y en avait une qui n'avait plus peur ? Il y avait une poulette qui avait sauté en piaillant de la chaîne d'abattage et qui risquait de contaminer tout le bâtiment ! On ne résiste pas chez Medecines. On se tait ou on s'en va. Ou on est broyé. » À la fin du livre, l’autrice adresse ironiquement ses « remerciements » à tous ses employeurs « sans qui ce livre n’aurait pas été écrit ». Ayant subi elle-même des conditions de travail humiliantes, elle s’en est vengée en écrivant ce roman, une saine initiative qui participe à sa manière, fine et intelligente, à la dénonciation de ces absurdités managériales aussi stupides qu’improductives. Une nouvelle et belle occasion de se réjouir de l’existence d’une littérature au regard acéré sur le monde et de rendre hommage à ceux, auteurs et éditeurs, qui concourent à sa création et à sa diffusion. Comme l’écrit Elisa Vix en conclusion : « Viva la literatura ! » Serge Cabrol (10/04/19) |
Sommaire Noir & polar Rouergue Noir (Avril 2019) 144 pages, 16,50 €
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